On croyait tout savoir sur Jacques Tati et sur Les Vacances de Monsieur Hulot (1). Si la bibliographie sur le cinéaste est bien fournie, il manquait une plongée dans des archives dont on espérait qu’elles aient survécu à sa déroute économique après Playtime (2).
Il se trouve en effet que sa fille, Sophie Tatischeff (1946-2001), a pu conserver bien des matériaux. Pour ce qui concerne Les Vacances, on a pu préserver, et, plus récemment, inventorier et classer, croquis et projets de décor, notes de tournage, correspondances, propositions de gags, documents sur la gestion, descriptions des scènes non retenues au montage, qui ont pu être.
Parmi ces documents des photos et cartes postales collectées pendant la recherche du site balnéaire idéal - Jean-Claude Chemin dit "l’archétype" -, qui allait devenir le site du tournage en 1951. Saint-Marc, une des plages de Saint-Nazaire, a séduit le cinéaste qui aurait déclaré lors de sa première visite que le site constituait pratiquement "un studio en plein air". La dimension locale était le point de départ des recherches de l’auteur, qui a su en dépasser les limites géographiques en reconstituant les conditions de la création cinématographique.

Des archives inédites lui ont été ainsi accessibles par les Films de Mon Oncle, la société fondée par Jerôme Deschamps et Macha Makeïeff, qui a pour vocation de restaurer les films de Jacques Tati et de les diffuser sur tout support. Grâce à une complicité qui remonte à la période récente où il accompagna Jerôme Deschamps en visite à Saint-Nazaire, alors que la Ville et les associations lançaient les recherches en vue de constituer un lieu patrimonial en hommage à Tati et à Hulot. C’est en effet à Saint-Marc, dont la plage a été rebaptisée de son nom qu’a été érigée une statue de Monsieur Hulot (3)

L’ouvrage repose ainsi sur une ambitieuse et patiente enquête, qui mêle intelligemment le tableau du lieu et des gens en cette année 1951, la chronique du tournage et l’élaboration du film. Des informations communiquées par les proches des assistants du cinéaste (le co-auteur, le truquiste-accessoiriste), quelques nouveaux témoignages de locaux ayant participé à l’aventure - et aussi un apport de Sylvette Baudrot, la script-girl, qui a pu convaincre Jacques Tati de la nécessité de sa fonction.
Outre le portrait des fidèles collaborateurs du cinéaste, l’ouvrage fourmille de notations sur les séquences tournées mais non retenues au montage. Il apporte aussi un éclairage sur les modifications que Jacques Tati le perfectionniste a apportées au film, notamment en 1962 et en 1978. Il évoque jusqu’aux plus modestes contributeurs, n’oubliant ni le mulet têtu qui persécute M. Hulot, ni la voiture pétaradante qui avait été choisie, une Salmson de 1923, disparue en 1962 - une perte pour le projet d’un musée Hulot dont beaucoup rêvent.

Jean-Claude Chemin, cinéphile avisé et connaisseur de l’histoire du cinéma, parvient à faire une rigoureuse chronique des étapes de tournage, notamment des fameuses séquences burlesques. Il restitue les problèmes pratiques, les solutions, les collaborations trouvées sur le site (souvent bénévoles), le contexte, le souffle créateur. Un bel ouvrage abondamment illustré, où l’auteur parvient à mêler indissociablement l’analyse cinématographique, l’histoire du lieu et l’histoire du film, ce qui lui a valu de recevoir le Prix du livre d’histoire du cinéma, décerné au cours du Festival de Pessac 2019.

Daniel Sauvaget
Jeune Cinéma n°398, décembre 2019

1. Les Vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati (1952). Prix Louis-Delluc 1953, et Prix de la critique internationale, au Festival de Cannes 1953.

2. Playtime de Jacques Tati, tourné entre 1964 et 1967 en 70 mm, est sorti en 1967. Il a connu un échec commercial retentissant qui a entraîné la faillite de sa société de production.

3. Cf. Jeune Cinéma n°371-372, mars 2016, p. 93-101.

Jean-Claude Chemin, Et Tati créa Monsieur Hulot, Châteaulin, éd. Locus Solus, 2019, 192 p.