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Couté, Pascal (livre)
De l’inhumain chez Steven Spielberg (2019)
publié le vendredi 28 octobre 2022

par René Prédal
Jeune Cinéma n°398, décembre 2019

Pascal Couté, De l’inhumain chez Steven Spielberg, Caen, éd. Passage(s), 2019.


 


Face à ce thème majeur (mais non unique) du cinéma de Steven Spielberg, l’étude de Pascal Couté part de l’idée que le cinéaste est un humaniste, avec une véritable foi en l’homme, mais qu’il s’agit d’un humanisme tourmenté, taraudé par l’inhumain, par ce qui se distingue de l’homme, voire le met en péril ou le nie.

L’auteur distingue alors trois catégories d’inhumain : les non-humains, à savoir les animaux - Les Dents de la mer (1975) -, les extraterrestres - Rencontres du troisième type (1977), E.T. (1982), La Guerre des mondes (2005) -, et les robots - A.I intelligence artificielle (2001).
Mais aussi ce qui se pose comme négation de l’homme, c’est-à-dire la guerre - Il faut sauver le soldat Ryan (1998), Cheval de guerre (2011) -, et la Shoah - La Liste de Schindler (1993).
Enfin ce qui dépasse l’homme, comme la nature ou des forces qui l’emportent au-delà de lui-même, ce thème se dégageant principalement de deux des films de science-fiction - E.T. et Rencontres.
En outre un concept d’absolu ou de relativité traverse cette notion d’inhumanité, selon que celle-ci ne doit rien à l’homme (imposée de l’extérieur), ou que c’est bel et bien l’homme qui l’a "fabriquée".

Rarement une problématique aussi complexe a été exposée aussi clairement. Or, non seulement Pascal Couté s’y tient avec une rigueur sans défaut, mais il lui imprime une profondeur remarquable, logique, morale, psychologique et métaphysique, que cet agrégé de philosophie convoque avec une aisance passionnante au service de ses analyses cinématographiques.
C’est en effet de l’étude des formes qu’il tire toute la complexité de la pensée de Steven Spielberg, y compris dans ses films considérés comme les plus simples, dans leur morale généreuse comme dans leur efficacité langagière du modèle hollywoodien classique. La finesse du regard de l’auteur est alors à la mesure de l’impeccable maîtrise de l’expression créatrice du cinéaste, retrouvant le secret perdu (ou dévoyé) des grandes années 50 (et de leurs thuriféraires critiques français).

Pascal Couté sait, au niveau des images, débusquer les références au contexte américain : La Guerre des mondes avec le 11 septembre 2001 et la guerre d’Irak du côté des Irakiens -, et les comparaisons avec les autres films aux sujets voisins soulignent la pertinence des choix du cinéaste : les plans généraux qui dominent dans Le Jour le plus long de Darryl F. Zanuck (1962) déréalisent l’horreur du débarquement alors que les gros plans du Soldat Ryan, 36 ans plus tard, sont au niveau de l’inhumanité du massacre, le suspense sur l’identité du vieillard qui se recueille sur les tombes servant la subtilité du vrai message moral du film.

On se régale également de la convocation de Frank Capra dans l’histoire. Le sens et la fonction dramatique du manteau rouge, en couleurs, de la petite fille de La Liste de Schindler sont superbement justifiés, tandis que la comparaison des Oiseaux (1963) et des Dents de la mer oppose le plein du finale de Alfred Hitchcock au vide de celui de Steven Spielberg. En outre l’esprit frontière et Moby Dick apportent aussi leur éclairage. L’emploi de la caméra subjective, le décryptage psychanalytique et la théorie du chaos sont discutés avec brio.

Le sommet du face à face humain / non-humain est dans Intelligence artificielle, conjuguant Pinocchio, Stanley Kubrick et Steven Spielberg dans la dimension plastique différente donnée aux perceptions humaines et non-humaines. Mais la conversion de saint Paul sur le chemin de Damas pour la transcendance de Rencontres du troisième type ou Œdipe roi de Sophocle convoqué à propos d’une adaptation de Philip K. Dick offrent des perspectives enrichissantes. À plusieurs reprises, l’iconographie apporte les preuves de l’analyse. C’est donc un Steven Spielberg revisité que nous offre cette étude qui a préféré l’analyse minutieuse aux synthèses globalisantes.
René Prédal
Jeune Cinéma n°398, décembre 2019


Pascal Couté, De l’inhumain chez Steven Spielberg, Caen, éd. Passage(s), collection Focale(s), 2019, 378 p.



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