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Estève, Michel (livre)
Bernanos au cinéma (2019)
publié le samedi 29 octobre 2022

par René Prédal
Jeune Cinéma n°398, décembre 2019

Michel Estève, Bernanos au cinéma, Paris, éd. L’Harmattan, 2019.


 


Le propos de l’auteur n’a pas été de réunir la somme sur la question, comme en témoigne la filmographie très succincte, alors que deux au moins des cinq films formant le corpus ont suscité de très nombreux écrits. Ce livre présente par contre la quintessence de la pensée de Michel Estève, cinquante ans directeur de la série Études bernanosiennes, et quarante de la collection Études cinématographiques, qui lui confèrent une réelle autorité en la matière. Il sera difficile dès lors de contester la pertinence exemplaire de son exposé.

Fort honnêtement, il précise qu’il appuie son classement de valeur de chaque film sur sa plus ou moins grande fidélité du film au livre adapté. Théoriquement, la démarche n’est pas évidente : toute l’histoire du cinéma est en effet pleine de films de qualité bien supérieure à leur modèle littéraire et, inversement, de plates adaptations dont l’inintérêt n’a d’égal que leur fidélité à l’œuvre originale. Mais dans le cas de Georges Bernanos à l’écran, tout cinéphile reconnaîtra que Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson (1951) est le meilleur - or, c’est aussi le plus fidèle -, et que Le Dialogue des carmélites de Philippe Agostini & Raymond Leopold Bruckberger (1960) est le moins réussi - or c’est celui qui colle le moins au texte d’origine.

On ne saurait néanmoins ignorer la liberté du spectateur, ni d’ailleurs celle du lecteur, y compris, par conséquent, celle du cinéaste qui adapte parfois Georges Bernanos à son idée. Or ce n’est pas forcément une trahison, car les personnages sont si riches - dans Mouchette ou surtout Sous le soleil de Satan (1) - qu’il est possible de concevoir des interprétations de certains de leurs comportements un peu différentes de celles fournies explicitement par l’auteur (que ce soit celui du film, mais aussi, auparavant, du livre) sans nuire à sa justesse, à sa profonde vérité. C’est le paradoxe de toute création (littéraire comme cinématographique) : la créature inventée qui échappe à son créateur. Un cliché certes, mais qui part d’une constatation que chacun aura pu faire à propos des meilleurs livres et films.

L’essai de Michel Estève est donc passionnant parce qu’il pointe avec clarté ces divergences, citant les lignes de Georges Bernanos et décrivant le passage du film qui y correspond. Son avis est, dans tous les cas, tranché. Mais le spectateur peut préférer le sien, cette fois en totale connaissance de cause au niveau du sens comme de l’esthétique, qui peut encore suggérer d’autres pistes, tant le domaine de la spiritualité recèle de potentiel quand il est exploré par Bernanos, Bresson, Pialat… ou Estève.

René Prédal
Jeune Cinéma n°398, décembre 2019

1. Mouchette de Robert Bresson (1967) est adapté du roman de Georges Bernanos, Nouvelle histoire de Mouchette (1937).
Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat (1987), adapté du roman homonyme de Georges Bernanos (1926) a reçu la Palme d’or du Festival de Cannes (1987).


Michel Estève, Bernanos au cinéma, Paris, éd. L’Harmattan, coll. Champs visuels, 2019.



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