Le mouvement surréaliste a été si fécond que, plusieurs décennies après sa dissolution officielle, on retrouve, aussi bien en France qu’à l’étranger, des femmes et des hommes qui ont été inspirés, soit par les idées de André Breton, soit par des œuvres littéraires ou picturales qui relèvent de la mouvance.
Nora Mitrani, est l’une de ces femmes dont on publie pour la seconde fois l’unique nouvelle qu’elle ait écrite. Jusqu’à maintenant, on ne connaissait d’elle que Rose au cœur violet, un ensemble de textes réunis par Dominique Rabourdin et publié en 1988 par Éric Losfeld, avec une préface de Julien Gracq, dont elle fut la compagne. Auparavant, elle avait été l’inspiratrice, le modèle et l’amante du peintre Hans Bellmer, prêtant son corps aux peintures érotiques de son amant.

Nora Mitrani est née en 1921, à Sofia, en Bulgarie, de parents d’origine judéo-espagnole et italienne. Sa famille se réfugie en France, mais est frappée par la répression nazie et vichyssoise qui déporte une grande partie de sa parentèle. Nora parvient à échapper aux polices et prend une fausse identité pour poursuivre ses études à la Sorbonne. Elle découvre le surréalisme dans lequel elle s’investit totalement - elle fera de l’amour fou "l’axe de sa vie". Elle participe activement aux réunions et signer les tracts du groupe. Elle écrit une pièce de théâtre, Un conquérant, demeurée inédite. Elle lit Sade, Nerval, Jarry et rédige un essai sur Hans Bellmer. Son engagement n’a point de limite et elle signe un reportage, Au pays de Salazar, Portugal 1950, sur la misère du peuple portugais.

Chronique d’un échouage est à la fois un récit autobiographique, un poème comme aurait pu écrire Arthur Rimbaud, un essai sociologique évoquant Pierre Bourdieu et anthropologique en miroir de Claude Lévi-Strauss, le scénario d’un moyen métrage qui aurait pu être réalisé par son frère Michel Mitrani. Le surréalisme n’est jamais loin. Le lecteur se laisse entraîner par les bruits, les gestes des mariniers et l’odeur du Rhône. Ainsi Nora Mitrani parle du bateau sur lequel elle navigue comme passager : "La pauvre bête craquait, vibrait et tentait de se décrocher". Mais elle n’oublie jamais son engagement politique : "Et aussi quelques Nord-Africains qu’on avait fait venir pour travailler dans les rizières de Camargue et faire baisser les prix de la main-d’œuvre métropolitaine."

Robert Grélier
Jeune Cinéma n°398, décembre 2019

Nora Mitrani, Chronique d’un échouage, suivi de "Nora Mitrani ou la liberté d’être", par Dominique Rabourdin, Nantes, L’œil ébloui, 2019, 84 p.