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Tourments (1953)
de Luis Buñuel
publié le mercredi 2 novembre 2022

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1953

Sorties les mercredis 2 juin 1954 et 2 novembre 2022


 


Alors qu’il est déterminé à mener un procès concernant sa dépossession de propriétés familiales, Francisco, un riche bourgeois mexicain, tombe fou amoureux de Gloria, une jeune femme naïve et inexpérimentée qu’il épouse.
Luis Buñuel pose ainsi son regard d’entomologiste sur cet être tourmenté pour offrir à l’œil de son public la dissection de son esprit jaloux.
Sa finesse d’écriture scénaristique lui permet, sans jamais le juger moralement, de dresser d’un trait précis le portrait de ce quinquagénaire puceau, inexpérimenté et frustré, ainsi que la manière dont, petit à petit, il en vient à perdre l’esprit et à asservir sa femme.


 


 

Cette description rigoureuse saisit aisément un public qui se trouve à la fois fasciné et horrifié par cet être imprévisible. Pour beaucoup dans la peur du spectateur, cette imprévisibilité émane de l’association de l’immaturité infantile du personnage à celui de son puissant corps d’adulte, l’ensemble le rendant capable de toutes les violences contre son épouse, qu’elles soient physiques ou psychologiques.


 


 

Cette épouse se retrouve ainsi prise au piège de la nature dérangée de son mari, mais aussi par les traditions d’une société mexicaine rigide, patriarcale et misogyne, notamment à cause du poids qu’y exerce l’Église catholique (église d’ailleurs pointée comme la principale responsable de l’infantilisation de ses ouailles).


 

Pour narrer cette histoire, Luis Buñuel adopte une structure narrative tortueuse faisant un va et vient entre le point de vue de Francisco et celui de Gloria, ce qui lui permet de générer efficacement suspense, tension dramatique, angoisses et peurs, tout en dynamisant le rythme de son intrigue. Ce dynamisme est accentué par le fait qu’à la progression crescendo de la folie de Francisco, comme de l’asservissement de sa femme, se joint de multiples détails visuels percutants, utiles à souligner l’évolution des personnages. Des détails tels la façon dont Francisco zigzague de plus en plus en se déplaçant, à mesure qu’il perd l’esprit, ou les nouveaux colliers que porte parfois sa femme et qui évoquent la réduction de son statut à celui d’une prisonnière ou d’un animal de compagnie.


 

Ainsi, le film n’est pas tant féministe que critique sur la proportion des êtres à se laisser emporter par leur passion et leurs névroses, ou à se soumettre à l’ordre établi, tout en ne cessant d’interroger de manière placide l’ambivalence des relations humaines. L’oppression du spectateur devant ces tourments est ensuite accentuée par le fait que Luis Buñuel filme globalement son histoire dans des espaces clos. Ce sentiment de claustrophobie est lui-même attisé par le fait que les quelques séquences en extérieurs ont été filmées en décors naturels.


 

Enfin, à mesure que la relation de son couple se dégrade, le cinéaste a recours à quelques embardées esthétiques expressives et modernes, qui tendent parfois à l’expressionnisme pour les délires de Francisco. Outre le fait que ces partis pris plastiques préservent Él de n’être qu’un brûlot satirique sur la relation de couple bourgeois, ils permettent de poser de beaux enjeux esthétiques qui évoquent le passé surréaliste de l’auteur.


 

Moins connu que d’autres films de la très riche période mexicaine du maître et évoquant, dans son approche de la folie, Le Poison de Billy Wilder (1945), Él est une pièce importante de sa filmographie, tant ses thèmes et ses lubies y semblent condensés (fétichisation des pieds inclus).


 

Ce faisant, le film constitue une belle porte d’entrée pour le profane qui voudrait investir l’œuvre de l’auteur. Terriblement actuel et sincère, beau, mélangeant parfois abstraction et néoréalisme, grand frère moins connu que, par exemple, le Journal d’une femme de chambre (1964), Él est une preuve supplémentaire, s’il en fallait une, que Luis Buñuel est l’un des plus grands maîtres du cinéma espagnol, mexicain, en un mot : mondial.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe


Tourments (Él). Réal : Luis Buñuel ; sc : L.B. & Luis Alcoriza d’après le roman de Mercedes Pinto ; ph : Gabriel Figueroa ; mont : Carlos Savage ; mu : Luis Hernández Bretón. Int : Arturo de Córdova, Delia Garcés, Aurora Walker, Carlos Martínez Baena, Manuel Dondé, Rafael Banquells, Fernando Casanova, José Pidal, Luis Beristáin, Roberto Meyer (Mexique, 1953, 92 mn).



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