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Pacifiction (2022)
de Albert Serra
publié le mercredi 9 novembre 2022

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2022

Sortie le mercredi 9 novembre 2022


 


En Polynésie française, De Roller, haut-commissaire de la république, se démène pour tirer le vrai du faux : y a-t-il oui ou non un sous-marin croisant dans les eaux de la région pour reprendre les essais nucléaires ?


 

C’est autour du cheminement de ce personnage que Albert Serra structure son récit, le parcours de De Roller consistant (tout en continuant de vaquer à ses occupations) à aller à la rencontre de la population et des diverses figures d’autorités locales pour tâter le pouls du milieu et comprendre ce qu’il se passe.


 


 


 

De son costume, que l’on ne sait identifier clairement comme étant celui d’un gangster ou d’un touriste, jusqu’à son comportement pataud qui entre en contradiction avec sa volonté d’action et son regard azuré tranchant, tout dans l’aspect de cet antihéros est conçu pour mener le spectateur sur de fausses pistes. L’ensemble, à commencer par le très grand talent de Benoît Magimel, permet de dresser le portrait d’un magnifique personnage ciselé par l’ambiguïté, utile à refléter un état d’esprit fondé sur le doute, la méfiance et la paranoïa.


 

Cet état d’esprit parvient à prendre particulièrement corps grâce aux longues conversations des protagonistes, parfois drôles, et qui sont modelées par l’obstination des participants à camper sur leurs positions respectives. La nature et la conduite de ces entretiens, comme les activités connexes de De Roller, permettent de créer, dans un même temps, une forme de bizarrerie permanente et un humour acide. L’un comme l’autre sont utiles à montrer l’ironie de la situation d’un personnage ambigu croyant au bien en ignorant qu’il sert le mal et vivant dans un monde qu’il ne comprend pas en pensant qu’il en a percé les codes.


 


 


 

Ce faisant, à travers son histoire, Albert Serra parvient à retransmettre certains traits de notre société contemporaine dont l’ambiance est basée sur les faux semblants, les simulacres, et où il devient difficile de discerner la vérité du mensonge comme la sincérité de l’hypocrisie. Ce thème de la perte des repères, qu’ils soient moraux ou psychologiques, est esthétiquement présent par le choix du réalisateur de recourir à des cadrages globalement fixes qui donnent un aspect dédalique à l’espace filmique, et au travers desquels peuvent se glisser un ou deux pièges visuels en forme de sous-marin, proches de l’hallucination. Ces visions, qui répondent à la paranoïa de De Roller, évoquent le cinéma de Michelangelo Antonioni alors que l’humour employé fait penser à celui de Bruno Dumont. Une musique aux tendances hallucinogènes et la présence de personnages secondaires étonnants contribuent à parachever avec efficience la création d’une atmosphère fantasmatique.


 

Une ombre au tableau cependant : là où Albert Serra fait intelligemment osciller la structure de son récit entre l’enquête policière et le récit burlesque durant plus de deux heures, il choisit, dans sa dernière ligne droite, de laisser une forme d’abstraction esthétique prendre le pas sur la résolution concrète de l’énigme initiale. Si cela a le mérite de l’originalité, ce choix a le défaut de faire passer au second plan la quête du personnage principal et de réduire celle-ci à un prétexte de mise en scène.


 

De fait, il en résulte une certaine fadeur dans la conclusion de l’œuvre. Ce qui est dommage, car Albert Serra a une vision critique cohérente et valable de notre société, comme le don de magnifier le talent de Benoît Magimel. Ainsi, on ne devrait pas être effrayé par les 2h45 de Pacifiction, et se laisser tenter par l’aventure qu’il propose.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe


Pacifiction (Tourment sur les îles). Réal, mont : Albert Serra ; sc : A.S., Ariadna Ribas & Artur Tort ; ph : Artur Tort ; mu : Marc Verdaguer. Int : Benoît Magimel, Sergi Lopez, Pahoa Mahagafanau, Marc Susini (Espagne-France-Allemagne-Portugal, 2022, 165 mn).



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