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Autour de minuit (1986)
de Bertrand Tavernier
publié le mercredi 16 novembre 2022

par Henry Welsh
Jeune Cinéma n°176, octobre-novembre 1986

Oscar de la meilleure musique et Oscar du meilleur acteur pour Dexter Gordon en 1987

Sorties les mercredis 24 septembre 1986 et 16 novembre 2022


 


La lumière qui baignait Un dimanche à la campagne (1) semblait une belle illumination claire-obscure, la musique qui enveloppe ce dernier film de Bertrand Tavernier paraît auréoler les personnages, donner un ton merveilleux à cette histoire d’une rencontre et à l’expression d’une affectueuse estime pour l’un des plus grands musiciens de jazz. Il faut préciser que la maîtrise des gris bleutés de l’ensemble des nuits du film, égrène, au fil des séquences, des tonalités en parfait accord avec les airs de be-bop entendus. Rarement une symbiose impressionne autant, comme si, par on ne sait quel sortilège, s’opérait une transfusion du registre sonore à celui des lumières.


 


 

Plus encore, dans la composition même du film, avec ses morceaux récurrents, sa liberté dans le rythme et dans la narration, il y a comme un air de famille avec les impros, les chorus de l’orchestre de ce saxophoniste dont la vie sert de fil conducteur à ce long-métrage. À l’écran, il porte le nom de Dale Turner, interprété admirablement par Dexter Gordon qui a été et reste un maître du jazz contemporain.


 


 

Rien que de voir ce géant métis aux yeux bleus, déambuler de sa manière si particulière, de son pas syncopé dans les rues de Paris, est un régal. Mais en plus de l’entendre jouer quelques-uns des airs de musique que l’on écoute pour soi, avec cette inimitable sonorité du saxo est un bonheur que la qualité du film transmet parfaitement. Malgré cette présence extraordinaire de la musique dans Autour de minuit, le réalisateur s’est attaché à nous raconter une histoire insolite d’amitié entre deux personnages liés avant de se connaître par une capacité de tout offrir à leur passion commune. Dale Turner tente à Paris de sauver ce qu’il lui reste de santé, et Francis, jeune illustrateur, use la sienne à écouter dehors sous la pluie, à travers un soupirail, les notes de jazz.


 


 

Leur rencontre sera l’occasion pour l’un, de retrouver une forme étonnante, et pour l’autre, de réaliser ses rêves. Sans schématisme, avec une richesse dans les procédés - puisque nous voyons des extraits noirs et blancs de films tournés par Francis, comme des souvenirs, puisque nous entendons parfois un pointilleux décalage entre les images et les airs de musique reliant des séquences mémorisées à des scènes réelles - Bertrand Tavernier préfère à une organisation très stricte de son film, une spontanéité allante et un enchaînement brillant des morceaux selon des temps variés.


 


 

Nous ne tardons pas à faire véritablement partie du groupe de ces mordus qui passaient leurs nuits à Saint-Germain à cette époque et qui avaient le bonheur de pouvoir approcher de près leurs interprètes favoris. L’un des bienfaits de ce film, c’est de ramener à une dimension plus humaine ce qui est devenu une industrie : celle des grands noms de la musique. De rendre si proche et si intime un personnage comme Dexter Gordon, à travers une histoire simple dans laquelle on trouve si allègrement sa place, donne à réfléchir sur les "grandes machines" du show-business où les musiciens sont à des kilomètres de l’auditoire, où les décibels sont souvent les composants essentiels des concerts.


 


 

Avec Autour de minuit, Bertrand Tavernier rappelle qu’il fut un temps où jouer la musique que l’on aime, pour laquelle on a tout sacrifié, était aussi une affaire d’éthique : il n’est pas mauvais de réaliser qu’à l’origine d’une grande partie de ce qui constitue notre environnement musical, se trouvent des hommes comme Dexter Gordon, Bud Powell, Lester Young. Plus qu’un hommage ce film est, à proprement parler une initiation. Avec lui nous entrons dans la famille chaleureuse des jazzmen grâce aux notes et aux mélodies géniales qu’il instille dans nos veines. Peut-être même que les plus réticents jusque-là à cette musique, arriveront à être convaincus.

Henry Welsh
Jeune Cinéma n°176, octobre-novembre 1986

1. "Un dimanche à la campagne", de Bertrand Tavernier (1984) Jeune Cinéma n°159, juin 1984.


Autour de minuit (Round Midnight). Réal : Bertrand Tavernier. sc : B.T., Colo Tavernier & David Rayfiel ; ph : Bruno de Keyzer ; mont : Armand Psenny ; mu : Herbie Hancock ; son : Michel Desrois & William Fia-geollet ; déc : Alexandre Trauner. Int : Dexter Gordon, François Cluzet, Gabrielle Haker, Pierre Trabaud, Sandra Reaves-Phillips, Lonette McKee, Christine Pascal, Herbie Hancock, Benoît Régent, Martin Scorsese, John Berry, Alain Sarde (USA-France, 1986, 133 mn).



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