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Ariaferma (2021)
de Leonardo Di Costanzo
publié le mercredi 16 novembre 2022

par Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection Hors compétition de la Mostra de Venise 2021

Sortie le mercredi 16 novembre 2022


 


Le titre du film, "air confiné", s’entend comme une métaphore de la prison, forteresse où même l’air ne circule plus. Dans la séquence d’ouverture en plein air autour d’un feu, les gardiens de Mortana - après une chasse au canard - fêtent leur départ. La prison doit être désaffectée et les derniers détenus transférés. Ils entrevoient leur vie d’après, un espoir ruiné quand la directrice leur annonce que le transfert est ajourné, faute de prison d’accueil ; elle-même est appelée à partir pour gérer deux établissements pénitentiaires. L’un des gardiens demande si c’est une punition. De fait, tous sont rivés à une attente de durée indéterminée, privés de cuisine donc de cantine, et les détenus de visites, de toute activité.


 

La prison est désancrée de la réalité, "un lieu imaginaire", dont la référence était la forteresse Bastiani du Désert des Tartares (1). La rotonde de la prison de San Sebastiano à Sassari en Sardaigne a été reconstruite et scénographiée.


 

Les prisonniers sont rassemblés dans les cellules de la rotonde. L’espace circulaire qui évoque le panoptique imaginé par le philosophe Jérémy Bentham au 18e siècle, - une stratégie de la surveillance et du pouvoir - place au centre les gardiens, dont Leonardo Di Costanzo (2) adopte le point de vue. Le chef des gardiens, Gaetano Gargiulo (Toni Servillo) homme intègre, sur ses gardes, devient le pilier central.


 

Derrière le masque rigide de la fonction sociale perce une empathie pour le dernier arrivé, le jeune Fantaccini - qui a gardé les joues rondes de l’enfance - trop tôt happé par la délinquance. Il demande à ce qu’Arzano, le vieux sénile, haï par les autres, soit examiné quand l’un de ses collègues pense que c’est un simulateur.


 

Dans la suspension du temps qui soustrait les protagonistes à leurs habitudes, tout peut se dérégler. Les repas infects apportés de l’extérieur provoquent une grève de la faim, la révolte menace. Un camoriste, Carmine Lagioia (Silvio Orlando), tire profit de l’étrangeté de la situation qu’il analyse intelligemment pour établir un rapport de force avec les gardiens et d’emblée avec Gargiulo, napolitain comme lui.


 

Quand il propose ses services de cuisinier, Gargiulo demande la réouverture de la cuisine et décide d’être le seul responsable des opérations face à des collègues hostiles qui méprisent les détenus ; ils vont l’épier pour guetter le faux pas. Ce qui n’échappe pas à Carmine qui tente d’établir une complicité impossible. La scène dans un potager en friche, où ils cueillent des herbes à cuisiner pour le dernier repas éclaire leur relation (le lien entre le fils de l’aubergiste et le fils du laitier). Leur duel feutré est servi par l’extraordinaire sobriété du jeu des deux acteurs : économie de paroles et de gestes. Silvio Orlando joue le provocateur en usant d’une expressivité minimale.


 

L’intensité du récit culmine lors d’une coupure d’électricité à l’heure du dîner. Détenus et gardiens partagent le repas, autour des tables assemblées ; dans l’obscurité trouée de la lumière des lanternes, un rapprochement advient : solidarité autour de Fantaccini dont le procès approche, la parole circule. Un moment de grâce. Les plans de coupe révèlent les paysages de la Sardaigne et l’architecture carcérale, ce point de vue extérieur scande le temps de la narration qui nous plonge en immersion en prison, lourdes portes, grilles et couloirs, cellules abandonnées.


 


 

La superbe bande son du musicologue et compositeur Pasquale Scialò intensifie ou rythme l’univers sonore métallique, il mêle ses créations à la reprise du "Clapping music" de Steve Reich et de chansons de la Grèce du nord.


 

Leonardo Di Costanzo, à travers la fiction - en déjouant les clichés du film de genre - amène la réflexion sur l’absurdité du système pénitentiaire dont la visée n’est ni d’éduquer, ni de réinsérer. Gargiulo désigné comme chef des gardiens, s’affranchit du rôle d’exécutant. En prenant des mesures en faveur de certains détenus dans l’intérêt de tous et du service, il assume ses responsabilités selon une morale qui ne s’accorde pas à la raison d’état : surveiller et punir.

Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le Désert des Tartares (Il deserto dei Tartari) de Valerio Zurlini (1976). La forteresse Bastiani du film est la citadelle de Bam, en Iran, détruite par un tremblement de terre en 2003.

2. Venu du documentaire, Leonardo Di Costanzo a réalisé deux films de fiction tournés à Naples, L’intervallo (2012) et L’Intrusa (2017).


Ariaferma. Réal : Leonardo Di Costanzo ; sc : L.di C., Bruno Oliviero & Valia Santella ; ph : Luca Bigazzi ; mont : Carlotta Cristiani ; mu : Paquale Scialò ; son : Xavier Lavorel ; cost : Florence Emir. Int : Toni Servillo, Silvio Orlando, Fabrizzio Ferracane, Salvatore Striano (Italie-Suisse, 2021, 117 mn).



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