Kaleb, jeune garçon de 10 ans, né en France, vit à Paris au sein d’une famille recomposée. Il a besoin d’un suivi médical en raison d’un grand retard de langage accumulé depuis l’abandon de son père biologique. Il est élevée par sa mère, Betty, une Éthiopienne sans papiers ni identité, en galère depuis douze ans.

Jean-Luc, un tailleur dont l’atelier se trouve dans l’immeuble que nettoie Betty et qui s’est attaché à Kaleb comme à un fils, les a pris sous son aile, au point qu’il a décidé de les prendre en charge. Et enfin, il y a Mehdi, ami de Jean-Luc, devenu une sorte de grand frère pour le gamin. Jean Luc était le maître-tailleur de Mehdi qui lui même est devenu culottier.

C’est à suivre ce petit clan se tenant chaud, que s’attache le documentaire, au fil des jours, dans leurs démarches pour régulariser la situation kafkaïenne de Betty, et tenter d’offrir, en se serrant les coudes, le meilleur avenir possible à Kaleb. Ensemble, ils discutent à n’en plus finir au cours de soirées arrosées dans l’atelier de Jean-Luc, courent les administrations, aident le gosse à ses devoirs, jouent avec lui, s’inquiètent parfois et rient souvent.

Dans Le monde de Kaleb, il y a une arrière-cour dans Paris, un atelier de tailleur, des chutes de tissus, de l’amour, de l’amitié, de la solitude, un peu de l’étoffe des rêves, de la pesanteur et de la grâce…
Il y a surtout de l’attention et de la pure générosité : un enfant réunit trois adultes, des solitaires qui s’emploient chacun à "coudre" une nouvelle modalité familiale.

Ce moment de vie et de construction "artisanale" au présent d’une véritable famille de cœur, est filmé avec une grande retenue, tant au travers de plans sur les visages, des mouvements des corps, que des échappées sur la ville.

En effet, les fantômes du passé, la dure réalité de la vie au quotidien, les tracas administratifs, les traumatismes, semblent renvoyés dans le hors-champ. Et lorsque certaines émotions surgissent et envahissent le plan, comme, par exemple, lors de cette séance d’orthophonie où Kaleb exprime son ressenti au travers de smileys, c’est pour mieux montrer tout le chemin de réparation déjà accompli par l’enfant.

En se tenant ainsi à la lisière du visible, Vasken Toranian (1) fait le choix de laisser émerger pleinement dans le champ, l’existence d’êtres humains qui se rencontrent, se reconnaissent peu à peu, et s’aiment. Et la demande d’amour, qui n’est finalement pas proportionnelle à la situation des quatre protagonistes, s’avère réciproque et partagée. Le regard est déjà un monde.

Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Vasken Toranian est né en 1989 à Paris.

Le Monde de Kaleb. Réal : Vasken Toranian ; sc : V.T. & Tristan Benoît ; mont : Sercan Sezgin ; mu : Julie Roué (France, 2022, 67 mn). Documentaire.