Les Nuits d’été
par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma n°360 été 2014
C’est l’histoire d’un homme qui prend des cours de féminin. Avec un vieil ami doué et tailleur ("qui est de la jaquette"), qu’il rencontre clandestinement dans sa maison de campagne ("Les Épicéas"), où il va régulièrement "travailler ses dossiers".
Cet homme, marié, heureux en ménage, notaire de son état, notable local, aspire à devenir Président de la Chambre, et il a de bonnes chances.
Sa femme, effacée mais engagée, doit faire un discours au Cercle des Appelés.
Et puis ça déraille.
Au lieu d’appeler à la guerre (d’Algérie) et de hurler avec les loups, elle prononce un discours compassionnel. Ça, et sa robe avec un décolleté dans le dos excessif : elle est huée, il a honte, ils sont exclus. D’un coup, le couple de notables deviennent des moutons noirs du bourg.
Et encore ils ne savent pas tout, les loups.
"Les Épicéas" se remplit des travelos de la boite de nuit, dont le proverbe est "Qui cherche le loup trouve une bergère". Devenue la "Villa Mimi", la maison est un havre de "féminin" (douceur, pacifisme, art et musique).
Un petit soldat, jeune déserteur paumé, qui ne savait pas quoi répondre à l’injonction de la chambrée : "T’as des couilles ? T’as de l’honneur ? Ou pas ?", y trouve refuge.
Il ne faut pas confondre la chambre et la chambrée, monde de vrais mecs, où on apprend à tuer.
Un jour, l’épouse, soupçonneuse, va y voir de plus près.
Tombant en pleine fête de ces dames, elle est d’abord surprise et bouleversée de découvrir la vie parallèle de la résidence secondaire familiale.
Puis, acclamée, en standing ovation, pour son discours pacifiste devant les appelés va-t-en guerre du pays, par les résidentes sur leur 31, toutes plus vraies que nature, elle essaye de "se rendre compte".
La scène du ménage sera douce.
"Quand je t’ai vu, comme ça, je t’ai reconnu. C’était quelque chose que je connaissais, une douceur. Mais où est ma place ?" lui dit-elle.
"Je ne t’ai jamais trompée ni avec une femme, ni avec un homme, je t’aime", lui dit-il.
Les deux parias, le notaire et son épouse, mesurant chacun leur taux d’insoumission, se rencontrent enfin. Sur l’air d’un petit tango, elle le maquille.
Les Nuits d’été est un film transgenre.
Il joue avec les stéréotypes sans jamais tomber dans le manichéisme.
Il semble avoir de solides racines : des Larmes amères de Petra von Kant à la Coccinelle réelle (1931-2006) qui hantait les rues de Juan-les-Pins, au début des années 60, en passant par l’Herculine Babin de Foucault, et le "devenir femme" de Deleuze et Guattari.
Mais, pourtant, c’est le premier de ce genre-là (1).
Car les temps ont changé, et le "genre", en 2014, on ne l’entend pas avec la même sonorité.
Dans les GLH et au MLF, on pensait que la révolution pouvait venir aussi par le biais des mœurs, et qu’il fallait changer le patriarcat avant le capitalisme.
Les femmes et les homos ont fait leur boulot réformiste.
Ayant obtenu quelques avantages, ils ont perdu leur potentiel révolutionnaire. Grand et éternel talent de la "récupération".
Du coup, on se dit que maintenant la révolution (des mœurs) pourrait transiter par les transgenres (et les nouvelles technologies). "On ne naît pas femme, on le devient". Y a pas de raison que ce soit valable uniquement pour une seule sorte de créatures.
Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma n°360 été 2014
1. Encore qu’on pense à Noor, le beau film de Guillaume Giovanetti et Çagla Zencirci (aux multiples sélections festivalières dont ACID, à Cannes 2012).
Mais ça se passe au Pakistan, avec sa tradition des "khusra". Notons que l’Inde vient de reconnaître l’existence d’un 3e genre.
Les Nuits d’été. Réal. Mario Fanfani ; sc : MF avec Gaëlle Macé ; ph : Georges Lechaptois ; mu : Rodolphe Burger ; mont : François Quiqueré. Int : Jeanne Balibar, Guillaume de Tonquédec, Nicolas Bouchaud, Mathieu Spinosi, Clément Sibony Serge Bagdassarian (France, 2014, 100 mn).