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Mauvaises filles (2022)
de Émérance Dubas
publié le mercredi 23 novembre 2022

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 23 novembre 2022


 


Émérance Dubas, scénariste et réalisatrice de courts métrages sur des artistes au début des années 2000, changea d’orientation lorsqu’elle découvrit les travaux de l’historienne Véronique Blanchard. La thèse (1) de celle-ci portait sur l’institution du Bon Pasteur, une congrégation religieuse cloîtrée qui, durant plus d’un siècle, s’occupa des adolescentes marginalisées, délinquantes ou, comme on disait alors, débauchées. Celles-ci étaient issues des milieux populaires les plus défavorisés. Émérance Dubas a résolu de "mettre en lumière ces invisibles de l’Histoire sur grand écran".


 

Il faut dire que la réalisatrice est native d’Angers, ville où fut fondée la congrégation en 1835 par Marie-Euphrasie Pelletier avant qu’elle n’essaime dans toute la France et jusqu’en Europe (2). N’en ayant jamais entendu parler jusqu’aux révélations de l’historienne, elle a imaginé qu’il y avait comme "une conspiration du silence" en raison des mauvais traitements infligés aux jeunes pensionnaires.


 


 

De même, tout le monde semblait avoir oublié que Sœur Marie-Euphrasie avait été canonisée sous Pétain par le pape Pie XII. Tandis qu’après-guerre, les garçons turbulents ou difficiles étaient menacés d’être envoyés à Tatihou (3) les filles s’entendaient dire qu’elles finiraient dans une maison "de correction" ou "de redressement" du type Le Bon Pasteur. Ce qui fut bel et bien le cas pour Albertine Sarrazin (4).


 


 

Le film rend donc la parole à cinq femmes ne se connaissant pas entre elles qui, à différentes époques, furent "placées" dans un des "refuges" en question. La plus âgée, Édith, le fut à ses six ans, suite à la séparation de ses parents. Elle y resta neuf ans durant. Les quatre autres sont nées dans les années quarante ou cinquante. Leur séjour a été de quatre ans en moyenne.


 


 

Elles disent, plus d’un demi-siècle plus tard, le traitement qu’elles durent subir. À leur arrivée, on leur rasait la tête, on les rebaptisait d’un autre prénom, on leur distribuait un uniforme. Curieusement, le tutoiement leur était interdit. La messe était de rigueur, deux fois par jour. Les études n’étaient pas poussées au-delà du certificat d’études.


 


 

Elles étaient vouées aux travaux d’aiguille et, pour les plus douées, à la dactylographie. Les punitions allaient de simples coups à des humiliations psychiques. En cas de récidive, elles se retrouvaient au mitard, à l’isolement total. On les incitait également à la délation. Tous ces faits sont énoncés sans pathos ni colère, dans le silence. Comme un acte d’accusation porté a posteriori.


 


 

Ces femmes restituent leur histoire, par bribes, par ellipses. On comprend à quel point leur "placement" était arbitraire. Leur cheminement est marqué par deux scènes-clés. Le film s’ouvre dans le dédale obscur du Bon Pasteur de Bourges, désaffecté, à l’abandon depuis quarante ans. La voix d’une ancienne pensionnaire nous y sert de guide.


 


 


 

Dans la séquence consacrée à la cellule destinée aux fortes têtes, la caméra s’attarde sur les graffitis, les dessins, les dates inscrits sur les murs. Une des protagonistes a alors ce qui pourrait être le dernier mot : "Il restera des traces de cette vie de chien".

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Véronique Blanchard, "Mauvaises filles". Portraits de la déviance féminine juvénile (1945-1958), thèse de doctorat en Histoire contemporaine, sous la direction de Frédéric Chauvaud (Université de Poitiers), soutenue en 2016.

2. La congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur a été fondée à Angers par Marie-Euphrasie Pelletier (1796-1868), au départ, pour venir en aide aux femmes et aux enfants en difficulté. Les conditions d’accueil et de rééducation se sont détériorées et ont fait l’objet de dénonciations publiques à partir de 1893. Cf. Benjamin Guinaudeau, Les Crimes des couvents, l’exploitation des orphelins, Paris, Bibliothèque d’Action sociale, 1903. Dans les années 2000, alors que la parole des femmes se libérait de plus en plus, les témoignages réapparurent. Cf. The Magdalene Sisters de Peter Mullan (2002), Lion d’or à la Mostra de Venise.

3. Le Centre de rééducation de Tatihou, une île au large du Cotentin, a été ouvert en 1948. Apparence de collège d’enseignement technique et réalité de maison de correction, le centre avait très mauvaise réputation et a été fermé en 1984. On connaît mieux la première colonie agricole pénitentiaire de Mettray, ouverte en 1840 et fermée en 1939, citée par Michel Foucault dans Surveiller et punir (1975), et où Jean Genet a séjourné entre 1926 et 1929 : Cf. Miracle de la Rose (1946) et Journal du voleur (1949).

4. Albertine Sarrazin (1937-1967), enfant de l’Assistance publique et femme de lettres, a été envoyée au Bon Pasteur de Marseille. Elle a raconté sa vie notamment dans L’Astragale (1965). L’ouvrage a été adapté au cinéma par Guy Casaril en 1969, et par Brigitte Sy en 2015.


Mauvaises filles. Réal : Émérance Dubas ; ph : Gertrude Baillot & Isabelle Razavet ; mont : Nina Khada ; mu : Marek Hunhap. Avec Fabienne Bichet, Éveline Le Bris, Édith Martin, Michèle Sals, Marie-Christine Vennat (France, 2022, 71 mn). Documentaire.



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