Festival du film slovène 2022
Paris, 29 septembre-2 octobre 2022
publié le vendredi 27 janvier 2023

Festival du film slovène à Paris 2022, 1ère édition

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°419, décembre 2022


 


Il n’y a que 30 ans que la Slovénie a déclaré son indépendance, en juin 1991, on a oublié la Yougoslavie, on commence même à oublier ses terribles guerres, entre 1991 et 2001.


 

En 2013, était sorti en France un premier film d’une cinéaste serbe, Mila Turajlic, Cinema Komunisto : il était une fois en Yougoslavie (2010), qui nous avait appris que Tito était un passionné de cinéma (1). Il avait créé les studios Avala à Belgrade dès 1945, où, certes, on tournait des films de propagande. Mais il ne détestait pas, pour marquer sa diférence d’avec l’univers soviétique, s’afficher avec Elizabeth Taylor ou avec Kirk Douglas qu’il avait invités. Les journaux s’en faisaient l’écho et cela cimentait sa fédération. Tito est mort en 1980, à Ljubljana, où, dès 1990, a été créé un festival international du film (LIFFE), pour suppléer à l’insuffisance de la production du pays (2). Il y a aussi le Festival du film slovène de Portorož créé en 1998, mais la station balnéaire est plus connue que le festival.


 

Aussi était-ce avec un grand intérêt qu’on attendait ce premier Festival du cinéma slovène en France, espérant peut-être y trouver les traces de cette histoire mouvementée. La manifestation était organisée par l’Ambassade de Slovénie et parrainée par le comédien Stanislas Merhar. Tous les films avaient déjà été sélectionnés, voire primés dans plusieurs festivals, et étaient suivis de débats avec les réalisateurs.


 

Le film d’ouverture, L’Inventaire (Inventura) de Darko Sinko (2021), est inspiré de la nouvelle du grand écrivain tchèque Karel Čapek, Tentative de meurtre (1936), à ceci près que le scénario transforme l’homme politique de la nouvelle en homme ordinaire.


 


 

Boris mène une vie paisible, mais un soir, alors qu’il lit son journal en sirotant sa tisane près de sa fenêtre, deux balles traversent la vitre et le frôlent. Il tombe alors dans l’inexplicable et finit par scruter tout son entourage. La musique participe efficacement à l’ambiance stressante du film, tout en accompagnant avec justesse son humour absurde.


 


 

La deuxième soirée était surtout patrimoniale, avec La Vallée de la paix (Dolina miru) de France Štiglic (1956). Le film avait été sélectionné en compétition au Festival de Cannes 1957 (avec le prix d’interprétation pour John Kitzmiller).


 

Cette histoire, pendant la Seconde Guerre mondiale, de deux enfants slovènes perdus et d’un pilote américain généreux méritait d’être intégrée à la section Cannes Classics en 2016.


 

La seconde séance de la soirée proposait Sanremo de Miroslav Mandic (2020), une histoire d’amour dans une maison de retraite, intimiste et touchante.


 


 

La troisième soirée était féministe, avec un long métrage et quatre courts.
Le long métrage, Salope, terme péjoratif pour une femme (Prasica, slabsalni izraz za zensko) de Tijana Zinajic (2021) est un film joyeux, mettant en scène des jeunes gens un peu insaisissables dans leur liberté égoïste et banale, tantôt gagnante, tantôt perdante.


 


 

Parmi les 4 courts métrages, tous réalisés en 2021 par des femmes, à côté de La Vie sexuelle de Mamie de Urska Djukic, Otava de Lana Bregar, et Steakhouse de Spela Cadez, la bonne surprise est venue de Sœurs (Sestre) de Katarina Rešek, alias Kukla, qui a obtenu le Grand Prix de la compétition au Festival de Clermont-Ferrand 2021.


 

Il met en scène trois très jeunes femmes comptant sur elles-mêmes pour se faire respecter, avec l’engagement physique qu’implique leur ambition de liberté sur un terrain jusque-là occupé par des garçons trop sûrs d’eux. Les filles sont expressives, cinglantes, cogneuses si nécessaire, fortes… des danseuses peut-être : une très bonne nouvelle.


 

Le film de clôture, L’Orchestre (Orkester) de Matevž Luzar (2021), narre la visite d’une fanfare slovène au festival rituel d’une ville autrichienne voisine. On sourit souvent, mais l’image de ces visiteurs s’enivrant sans retenue pour dégueuler dans l’intérieur privé soigné des vieilles Autrichiennes ne sonne plus très juste…


 


 

Sans référence historique, on pouvait s’étonner un peu de la connotation si slave, si proche du russe, de la langue slovène. L’ambiance était aussi un peu tchèque, Milos Forman rôdait dans ce petit festival déchargé d’histoire politique, laissant bourgeonner une jeunesse, hésitante ou combative, sur les modes de vie des aînés plus conformistes, avec des femmes aux fourneaux et des hommes à materner.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°419, décembre 2022

1. On le trouve chez Les Mutins de Pangée.

2. On avait quand même vu, à Venise, en 2013, L’Ennemi de la classe (Razredni sovražnik) de Rok Biček.


* L’Inventaire (Inventura). Réal, sc : Darko Sinko ; ph : Marko Brdar ; mont : Matic Drakulic ; mu : Matija Krecic ; cost : Katja Hrobat. Int : Davor Janjic, Vlado Bulajic, Alen Kermac, Kristijan Gucek, Igor Godina, Dejan Spasic (Slovénie, 2021, 106 mn). Inédit en salle en France.

* La Vallée de la paix (Dolina miru). Réal : France Štiglic ; sc : F.S., France Jamnik, Vladimir Koch & Ivan Ribic ; ph : Rudi Vaupotic ; mont : Radojka Tanhofer ; mu : Marijan Kozina. Int : John Kitzmiller, Evelyne Wohlfeiler, Tugo Stiglic, Janez Čuk, Boris Kralj, Francek Drofenik (Yougoslavie, 1956, 82 mn). Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1957, Prix d’interprétation pour John Kitzmiller. Sortie en salle en France le 29 août 1958.

* Sanremo. Réal, sc : Miroslav Mandic ; ph : Peter Zeitlinger ; mont : Andrej Nagode ; mu : Darko Rundek ; cost : Polona Valentincic. Int : Sandi Pavlin, Silva Cusin, Boris Cavazza, Barbara Cerar, Doroteja Nadrah, Jurij Drevensek (Slovénie, 2020, 90 mn). Inédit en salle en France.

* "Salope, terme pejoratif pour une femme" (Prasica, slabsalni izraz za zensko). Réal : Tijana Zinajic ; sc : Iza Strehar ; ph : Milos Srdic ; mont : Anze Verdel ; cost : Matic Hrovat. Int : Liza Marijina, Tosja Flaker Berce, Anusa Kodelja, Jure Henigman, Spela Rozin, Nika Rozman (Slovénie, 2021, 90 mn). Inédit en salle en France.

* L’Orchestre (Orkester). Réal, sc : Matevž Luzar ; ph : Simon Tansek ; mont : Jelena Maksimovic ; cost : Nadja Bedjanic. Int : Gregor Zorc, Gregor Cusin, Jernej Kogovsek, Maria Hofstätter (Slovénie, 2021, 111 mn). Inédit en salle en France.

* Sœurs (Sestre). Réal, sc, mu : Katarina Rešek ; ph : Peter Perunovic ; mont : Lukas Miheljak ; cost : Damir Rakovic Ponorelii. Int : Mina Milovanovic, Sarah Al Saleh, Mia Skrbinac, Tin Troha (Slovénie, 2020, 23 mn). Grand Prix du festival dee Clermont-Ferrand 2021.



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