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Rivière (la) (1997)
de Tsai Ming-liang
publié le mercredi 30 novembre 2022

par Roland Hélié
Jeune Cinéma n°245, septembre-octobre 1997

Sélection officielle de la Berlinale 1997.
Grand Prix du Jury

Sorties les mercredis 13 août 1997, 28 juillet 2021, 30 novembre 2022.


 


Incontestablement, La Rivière, le troisième long métrage de Tsai Ming-liang, poursuit, à travers le personnage de Xiao-Kang, l’impeccable radiographie de la vie à Taipei, entreprise dans ses deux précédents films et donnent à cet ensemble les contours d’un triptyque en devenir, d’un work in progress qui n’en finit pas d’émerveiller.


 


 

En auscultant les errances d’un groupe de jeunes gens, leur solitude respective, aussi radicale que pathétique, Les Rebelles du dieu néon (1992) - dont la sortie sur les écrans français vient d’être annoncée - mettait en scène la première apparition du personnage Xiao-Kang qui, de film en film, finirait par figurer le double du cinéaste, ou mieux encore, par en incarner tout à la fois l’alter ego et le modèle. Vive l’amour (1994), de son côté, s’attachait à ses désirs au sein d’un triangle amoureux instable, vaudeville dévoyé dont la rigueur formelle, l’impression de beauté et de vide qui en résultait, dessinaient des ponts probants avec l’œuvre de Michelangelo Antonioni. De telle sorte que Tsai Ming-liang pourrait reprendre à son compte son mot à Mark Rothko : "Vous et moi, nous peignons le vide mais nous le peignons avec précision".


 

Sur cette trajectoire, La Rivière élabore toute une géographie des déplacements de trois personnages, dont Xiao-Kang, censés vivre ensemble, former une famille, et qui, en réalité, ne font eux aussi que se croiser. Ainsi est-il démontré que la solitude endémique des films précédents, loin de ne frapper que la jeunesse dégoutte finalement de partout et submerge la vie de chacun comme la fuite d’eau ininterrompue - un robinet est resté grand ouvert dans l’appartement inoccupé au dessus - engloutit les capacités du père à la maîtriser.


 


 


 

Il ne faudrait pas en déduire pour autant que l’écoulement d’eau en serait précisément la métaphore. Bien que l’eau tienne ici un rôle prépondérant, il pourrait être vain d’essayer d’en déterminer avec certitude la signification réelle pour la simple raison qu’elle est vraisemblablement multiple. Elle pourrait tout aussi bien suggérer le travail de sape de l’inconscient dégénéré par la frustration des désirs, que ce soit celui de la mère, que sa liaison avec un vendeur de cassettes pornographiques laisse profondément insatisfaite, celui du père, en quête de plaisirs furtifs dans les saunas gays, ou celui de Xiao-Kang encore indéterminé.


 


 

Était-il nécessaire de trouver une explication rationnelle à la disparition de Anna dans L’Avventura  ? De la même façon, il serait dérisoire de chercher à percer l’origine de la souffrance de Xiao-Kang. Est-elle une conséquence à son bain cinématographique dans les eaux polluées du Tanshui, ou consécutive au rapport sexuel avec Xiangqi, l’une de ses anciennes camarades de classe qui, devenue régisseur, l’entraînera sur le tournage du film de Ann Hui ?


 

Ces incertitudes renforcent l’intuition que l’essentiel tient manifestement au filmage, à une mise en scène du temps dont Tsai Ming-liang est décidément l’un des sculpteurs les mieux inspirés. Sans être absolument nouveau, son travail sur le temps cinématographique repose sur une contradiction dont les termes peuvent être énoncés de la façon suivante : À la vie frénétique d’une mégapole, à la fuite en avant éperdue d’une entité politique, Taiwan, clairement menacée par la Chine, répond le fléchissement et la décélération du temps, sa dilatation où s’épuisent les corps et les esprits.

Roland Hélié
Jeune Cinéma n° 245, septembre-octobre 1997


La Rivière (Hé liú). Réal : Tsai Ming-liang ; sc : T.M.l., Tsai Yi-chun & Yang Pi-ying ; ph : Liao Pen-jung ; mont : Chen Sheng-chang et Lei Chen-ching ; déc : Tony Lan ; cost : Yu Wang. Int : Lee Kang-sheng, Miao Tien, Chen Chao-jung, Chen Shiang-chyi, Ann Hui, Lu Shiao-lin, Lu Yi-ching, Yang Kuei-mei (Taïwan, 1997, 115 mn).



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