De larges feuilles de figuiers abritent de la chaleur écrasante un groupe de jeunes filles réunies pour la cueillette, quelques jeunes garçons les rejoignent. Un film choral d’un seul cadre, d’un seul sujet, tourné par Erige Sehiri sur les terres agricoles tunisiennes dont les actrices et acteurs sont non-professionnels.

Les arbres sont magnifiques, les fruits cueillis violets sont détachés délicatement par des doigts agiles puis disposés en cagettes par les femmes plus âgées, souvent assises à l’ombre de l’arbre. Il fait très beau, la chaleur du soleil se sent sur les visages filmés en plans rapprochés, la peau est dorée comme la lumière qui traverse les branches et sous la voûte des frondaisons, s’égayent et dialoguent les jeunes filles à propos de l’amour. Marivaudage en pleine nature. Dialogues exquis et délicats, intimes et réservés, les voix ardentes et vives se croisent sous les feuillages, se libèrent aussi de quelques tabous, de pudeur ancienne, de timidité envers des jeunes garçons dont elles étaient amoureuses à l’adolescence.

Un film très réussi par la candeur du regard de la réalisatrice sur les jeunes filles, la grâce les habite, comme la fraîcheur des sentiments. Tout est beau, les couleurs des tuniques, des voiles et des foulards sous le soleil, et cependant, derrière cette belle journée de cueillette, chacun garde au fond de soi, une blessure, une insatisfaction, une colère envers la société, patriarcale et injuste.

Elles sont arrivées dans ce verger, jeunes et plus âgées, se tenant debout les unes contre les autres, ballotées sur la route cabossée dans une camionnette à ciel ouvert. Le chef la conduit et abuse comme toujours de son pouvoir, la surveillance du travail par l’une d’entre elles mène aussi à la délation, la paye n’est pas forcément équitable, la terre des uns n’est peut-être pas légalement la leur. Quelle perspective ? quel avenir pour cette jeunesse dans un lieu où le poids des traditions est ancré si profondément sans possibilité de changement ? Une certaine rébellion surgit dans les mentalités de cette jeunesse tunisienne face aux anciens et dans l’espérance d’un autre état du monde, Erige Sehiri se plaît à filmer ces visages radieux dans la beauté du soleil, la grâce des sens et le ravissement des gestes.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°416, été 2022

Sous les figues (Under the Fig Trees). Réal, sc : Erige Sehiri ; sc : Ghalya Lacroix, Peggy Hamann ; ph : Frida Marzouk ; mont : Ghalya Lacroix ;mu : Amine Bouhafa. Int : Ameni Fdhili, Fide Fdhili, Feten Fdhili, Leila Ohebi (France-Tunisie-Suisse-Allemagne, 2022, 92 mn).