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Poupée (la) (1968)
de Wojciech Has
publié le mercredi 7 décembre 2022

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°419, décembre 2022

Sortie le mercredi 7 décembre 2022

 


Entre Le Manuscrit trouvé à Saragosse (1965) et La Clepsydre (1973), Wojciech Has réalisa La Poupée, long métrage de fiction qui sortit en Pologne en 1968. Le film ne sortit pas en salle en France, mais connut une première édition vidéo en 2008 grâce à Malavida (1). Il vient d’être restauré par le laboratoire polonais Di Factory, à l’initiative du fameux WFDiF (2), le studio de Varsovie créé en 1949, dédié au départ au documentaire, qui regroupe de nos jours les principaux catalogues des productions polonaises. Comme dans ses huit films précédents, Wojciech Has adapte un texte littéraire, en l’occurrence un gros pavé populaire de Boleslaw Prus, publié d’abord sous forme de feuilleton à la fin du 19e siècle, et qui se rattache à la veine réaliste.


 


 

Sur fond d’industrialisation galopante et de course à l’argent, l’auteur narre l’ascension sociale, puis la chute de Stanislas Wokulski, un self-made man qui, de simple gérant de taverne, devient un commerçant prospère, propriétaire d’un des plus beaux magasins de la capitale. Les envieux prétendent qu’il doit surtout sa fortune à sa vente d’armes à la Russie durant la guerre de ce pays contre la Turquie. Un mauvais citoyen polonais pour autant ? Que nenni, puisque Wokulski s’est illustré en combattant aux côtés des patriotes lors de l’insurrection de 1863. Lors de sa déportation en Sibérie, ses mains ont gelé, ce que montrent d’ailleurs deux plans du film à des moments cruciaux.


 

Disons que le personnage a un caractère contradictoire. Ami fidèle d’un ex-collègue aubergiste, il est l’ennemi implacable des aristocrates qui le prennent de haut plus souvent qu’à leur tour, et un patron inflexible sachant venir en aide aux indigents du cru. Il vend de coûteuses babioles aux femmes les plus chics. Il lui arrive de rêver de "boulevards", comme ceux vus jadis à Paris. Il pense que le monde moderne permettra de faire disparaître la misère. En d’autres termes, le bourgeois représente le nouveau citoyen.


 


 

Le passage d’un monde à l’autre est symbolisé par l’aristocrate ruinée dont s’éprend le protagoniste, tout ébloui par l’aisance mondaine de la demoiselle. Celle-ci, de son côté, entend se vendre au commerçant. Au meilleur prix, comme elle le dit : "très cher".


 


 

Wojciech Has alterne dextrement séquences d’intérieur (cf. notamment la transformation à vue des femmes de la noblesse en mannequins de musée Grévin, ou en poupées, qui teinte le récit du fantastique cher à la Mitteleuropa) et prises de vue virevoltantes en extérieur. Que cet extra muros soit réel ou simplement une grande cour de studio, qu’importe. À propos de cour, les scènes de rue représentent une véritable cour des miracles, où le dénuement, la souffrance, le désespoir des uns contrastent avec l’insouciance, la suffisance, la futilité des autres.


 


 


 

La Poupée est le premier film en couleurs de Wojciech Has, un film en costumes qui a séduit, dans son pays, quatre millions de spectateurs, en raison, c’est probable, de sa linéarité narrative - on est loin des ellipses et des fausses pistes du Manuscrit trouvé à Saragosse. Entre les lignes, le public a saisi ses allusions à la Pologne de l’époque, celle de 1968, année erratique.


 


 

Il est, par exemple, question de la vague d’antisémitisme qui a traversé le pays par le passé, mais aussi, peu de temps après la Guerre des six jours. D’autre part, la Pologne du 19e siècle est comparée à celle de Władysław Gomulka, deux ans avant la révolte ouvrière de Gdansk. Une des répliques a dû faire mouche auprès du public : "Un pays ? Une miniature de pays ! La faim a raison des uns, la débauche des autres, et les pauvres travaillent pour enrichir les crétins".

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°419, décembre 2022

1. En DVD chez Malavida.

2. Le WFDiF soit le Wytwórnia filmów dokumentalnych i fabularnych.


La Poupée (Lalka). Réal, sc : Wojciech Has ; sc : Kazimierz Brandys, d’après le roman dei Boleslaw Prus ; ph : Stefan Matyjaskiewicz ; mont : Zofia Dwornik ; mu : Wojciech Kilar ; cost : Lidia Skarzynska & Jerzy Skarzynski. Int : Mariusz Dmochowski, Beata Tuszkiewicz, Tadeusz Fijewski, Jan Kreczmar (Pologne, 1968, 139 mn).



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