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Chéries-chéris 2022, 28e édition
Paris, 19-29 novembre 2022
publié le lundi 12 décembre 2022

Festival du film LGBT+, Chéries-chéris 2022, 28e édition

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe


 


La 28e édition du festival du film LGBTQI et +++, Chéries-chéris, a eu lieu du 19 au 29 novembre 2022 dans quatre salles MK2 et au Brady.
Échantillonnage avec quatre films.


 

Le premier film que nous ayons vu, Nos peurs et nos espoirs de Lukasz Ronduda & Lukasz Gutt (2021) vient de Pologne, de la Pologne profonde, puisqu’il se déroule presque entièrement à la campagne. Il commence dans la cour d’une ferme où le protagoniste, Daniel, éloigne canards et oies d’une motocyclette digne de celle de Easy Rider Dennis Hopper (1969), qu’il s’apprête à briquer comme le héros de Scorpio Rising de Kenneth Anger (1964). Daniel est gay, il arbore sur son sweat Adidas un galon arc-en-ciel, et il a les cheveux teints, ce qui ne l’empêche pas d’être un catholique fervent (il a toujours à portée de main son chapelet). C’est un artiste qui fait dans les installations, selon son inspiration, sans se soucier de la demande. Il transforme des cages à poules en sculptures à la fois avant-garde et rustiques que le directeur du musée d’art moderne de Varsovie lui règle cash. Désintéressé, il remet l’intégralité de sa rétribution à… sa grand-mère. Dans un premier temps, il n’est pas rejeté par la bourgade, il prend même la parole lors d’une manifestation paysanne, il interpelle les autorités sur les effets de la politique européenne et sur le taux de suicide des agriculteurs. Un autre problème local est la question des sangliers que l’Europe interdit de chasser alors qu’ils creusent partout des trous et répandent des maladies porcines. Ce thème devient graduellement une métaphore du rejet de l’autre.


 


 

Daniel, grand prosélyte, encourage une jeune amie, Jagoda, à faire son coming out. Celle-ci se trouve illico en butte à l’hostilité de sa famille et de voisins qui viennent l’insulter sous ses fenêtres. Poussée à bout, la jeune fille se pend à un arbre.
Assez maladroitement, Daniel s’adresse alors à la famille de Jagoda qui le chasse. Il tente en vain de convaincre le prêtre qui refuse de donner une sépulture chrétienne à la suicidée. Il devient dès lors le bouc émissaire. Ostracisé, il est frappé, jeté à terre devant l’église, toute la communauté villageoise restant impassible.
Lukasz Ronduda et Lukasz Gutt se sont basés sur des faits réels. Le protagoniste s’inspire de la figure de l’artiste Daniel Rycharski. Lukasz Ronduda, qui n’est autre que le directeur du musée ci-dessus mentionné, dirige le film et joue son propre rôle. Cette savante combinaison entre réel et fiction est le miroir de la Pologne d’aujourd’hui. On sait que le Président Andrzej Duda fait de la lutte contre l’homosexualité un enjeu de son parti "Pour la loi et la justice". Une centaine de municipalités se sont déclarées "zones libres de LGBT ".


 

Blue Jean de Georgia Oakley (2022)

Blue Jean est ainsi surnommée pour ses grands yeux azur. Elle est l’héroïne du premier long métrage de la Britannique Georgia Oakley, dont l’action se déroule à Newcastle upon Tyne, dans les années 80, durant l’ère Thatcher. La cité est déjà en voie de désindustrialisation suite à l’échec de la grève des mineurs, mais non encore en route vers l’ubérisation telle que montrée par Ken Loach dans I, Daniel Blake (2016) et Sorry We Missed You (2018) tournés dans la même ville. Jean est professeure d’éducation physique dans un lycée. Il se trouve qu’elle est lesbienne. Elle ne craint pas seulement le qu’en dira-t-on, mais bien les mesures dites de "la Section 28" visant à interdire "la promotion de l’homosexualité" prise par le gouvernement conservateur. Pour garder son travail, elle mène une double vie. Le jour, elle donne ses cours, le soir, elle fréquente les bars lesbiens Dans la scène d’ouverture, Jean se teint les cheveux en blond et les coiffe en arrière à la manière de David Bowie.. Elle revêt un long manteau noir et va retrouver son amie Viv dans un des établissements homos de la ville. Tout va bien jusqu’à ce qu’un beau soir elle y croise une nouvelle élève dont le comportement étrange l’avait déjà frappée en classe. Les ennuis commencent.


 


 

On peut reprocher à Georgia Oakley d’être minimaliste dans sa reconstitution de l’époque. En effet, les décors sont ceux d’aujourd’hui, seules les nouvelles à la radio, que Jean allume un peu trop systématiquement, permettent de se transporter dans le climat d’homophobie des années Maggie. En revanche, elle a le sens esthétique, soigne les éclairages, les couleurs et cadre avec justesse ses personnages. Elle tire le meilleur parti de leurs différences physiques et psychologiques, fait jouer l’alchimie des caractères et des sensibilités. Elle brosse les portraits de Jean (une petite-bourgeoise sur ses gardes), de Viv (la prolotte entière et loyale), de Loïs (l’élève énigmatique, vulnérable et ambitieuse). La beauté de la comédienne Lucy Hallyday, qui joue Loïs, est de type préraphaélite. La jeune fille est le sosie de Jane Morris, la femme de William Morris et la muse de Dante Gabriele Rossetti.


 

Três Tigres Tristes de Gustavo Vinagre (2021) (1)

il s’agit du dernier film, une fiction, du Brésilien Gustavo Vinagre. De lui, nous avions découvert à la Berlinale, en 2019, A Rosa azul de Novalis, un assez curieux film du réel. Ici, il nous fait revivre la journée de trois amis qui se retrouvent à São Paulo. Les deux premiers sont colocataires, le troisième un cousin venu de la campagne. Tous trois vont dériver à travers une ville déserte hantée par la peur d’un virus qui attaque la mémoire. Il s’agit là d’un coup de griffe à Bolsonaro qui niait le nombre de victimes du Covid. Curieusement, le ton du film n’est jamais indigné mais, au contraire, léger, riche d’allusions, de plaisanteries et aussi d’échanges de tendresse entre copains. Le trio marche au petit bonheur la chance, aborde des passants dans la rue, rend visite à des connaissances, s’arrête au marché aux puces, termine la soirée chez une musicienne.


 


 

Le film n’a pas véritablement de structure. Il laisse aller ses protagonistes où bon leur semble en scandant leur errance par des chansons pop. Dans les films queer programmés, les caractères vivent leur identité sexuelle diversement. En la dissimulant (comme Jean) ou en la proclamant (comme le sculpteur polonais). Ici l’identité paraît malléable, changeante. Nos "tigres" semblent de papier, pas trop sûrs d’eux. Ils appartiennent encore à l’enfance. Ils constituent une communauté ouverte aux autres avec lesquels ils communiquent souvent par écrans interposés. Le film a un charme incontestable, il est à la fois utopique et dystopique - l’idée de cauchemar est signifiée par une ville vouée à l’amnésie. Le traitement onirique s’inscrit dans la veine du "réalisme magique" latino-américain en général - raison pour laquelle, sans doute, le cinéaste a donné un titre espagnol. Titre qui résulte du tongue twister, du nonsense ou de la poésie sonore d’un Lewis Carroll.


 

Neptune Frost de Saul Williams & Anisia Uzeyman (2021)

Neptune Frost est l’œuvre d’un couple hétéro, le musicien afro-américain Saul Williams et la Franco-Rwandaise Anisia Uzeyman. Ils ont co-écrit le scénario, l’homme s’est chargé de la B.O, et la femme de D.O.P. Leur film s’inscrit dans la veine "afro-futuriste" initiée par Sun Ra qui fusionne science-fiction, critique de la technique, réappropriation de celle-ci, imaginaire ésotérique et flamboyant, mémoire de l’esclavage, pensée postcoloniale. Pour ce qui est du 7e Art, une superproduction comme Black Panther de Ryan Coogler (2018) a été considérée comme afro-futuriste, acclamée du Nigéria au Brésil, oscarisée qui plus est. Les réalisateurs se réfèrent à ce film tout en en prenant le contrepied. Tandis que Ryan Coogler jouait sur le mythe d’un super-héros de type Marvel, Saul Williams & Anisia Uzeyman remettent tous les stéréotoypes en question. À commencer par l’identité sexuelle.


 


 

Neptune est transgenre, une sorte de Ziggy Stardust arpentant la campagne en escarpins tel la danseuse dénudée de Pina Bausch dans La Plainte de l’impératrice (1990). Il finit de se transformer en femme après avoir subi les assauts d’un prêtre entreprenant. Au-delà du portrait de Neptune, le propos des auteurs est politique et écologique. Y est abordée la question du coltan - un minerai indispensable à la fabrication des smartphones dont les gisements se trouvent au Congo, au Burundi et au Rwanda. Y sont dénoncées les conditions de son exploitation comme la question du pillage des ressources naturelles et humaine.
Neptune se joint à la communauté d’hacktivistes qui luttent contre le sort qui leur est fait au moyen de l’informatique et de la magie. Il y rencontre Matalusa, un ancien mineur dont l’ami a été tué par un garde armé. Pour se donner du courage, les protagonistes dansent, rappent, débattent - en swahili, kirundi, kinyarwanda, en français et en anglais. Le récit est parfois chaotique. Les séquences de rêve, de rencontre avec la cyber-réalité ne facilitent pas les choses. L’émotion est convoquée, plus que la logique. Vibrante, d’inspiration anarchiste, Neptune Frost est une œuvre opératique, splendide visuellement et musicalement.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Ne pas confondre le film chilien Trois tristes tigres (Tres tristes tigres) de Raoul Ruiz (1968), Léopard d’or au Festival international du film de Locarno en 1969, scénario à partir du roman de l’écrivain cubain Guillermo Cabrera Infante, Vista del amanecer en el trópico, écrit en 1964) et remanié en 1967 sous le titre de Tres tristes tigres, et adapté au théâtre par le Chilien Alejandro Sieveking.


* Nos peurs et nos espoirs (Wszystkie nasze strachy). Réal : Lukasz Ronduda & Lukasz Gutt ; sc : Michal Oleszczyk, Łukasz Ronduda ; ph : Lukasz Gutt ; mont : Przemysław Chruscielewski & Kamil Grzybowski ; mu : Pawel Juzwuk, Igor Klaczynski, Marcin Lenarczyk & Bartosz Lupinski ; cost : Kalina Lach. Int : Dawid Ogrodnik, Maria Maj, Andrzej Chyra, Oskar Rybaczek (Pologne, 2021, 94 mn).

* Blue Jean. Réal, sc : Georgia Oakley ; ph : Victor Seguin ; mont : Izabella Curry ; déc : Eliora Darmon ; cost : Kirsty Halliday. Int : Rosy McEwen Kerrie Hayes Lucy Halliday Lydia Page Stacy Abalogun Lainey Shaw Kylie Ann Ford (Grande-Bretagne, 2022, 97 mn).

* Trois tigres tristes (Três Tigres Tristes). Réal : Gustavo Vinagre ; sc : G.V. & Tainá Muhringer ; ph : Cris Lyra ; mont : Rodrigo Carneiro ; mu : João Marcos de Almeida, Marco Dutra & Caetano Gotardo ; cost : João Marcos de Almeida. Int : Isabella Pereira Pedro Ribeiro Jonata Vieira Filipe Rossato Gilda Nomacce (Brésil, 2021, 86 mn).

* Neptune Frost. Réal : Saul Williams & Anisia Uzeyman ; sc, mu : Saul Williams ; ph : Anisia Uzeyman ; mont : Anisha Acharya ; cost : Cedric Mizero. Int : Elvis Ngabo, Cheryl Isheja, Diogène Ntarindwa, Bertrand Ninteretse, Eliane Umuhire, Rebecca Mucyo, Ekaterina Baker (USA, 2021, 105 mn).



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