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Poet (2021)
de Darezhan Omirbayev
publié le mercredi 14 décembre 2022

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle de la Berlinale 2022

Sortie le mercredi 14 décembre 2022


 


Depuis la globalisation et la mondialisation des années 1980, le monde a changé. Actuellement, nous pouvons dire qu’il n’y aura pas de retour en arrière possible, ni pour l’économie, ni pour la culture. Ce nouveau film du Kazakh Darezhan Omirbayev en est l’illustration. Cette mondialisation a attaqué les fondements même de toutes les cultures de la planète : des langues disparaissent un petit peu chaque jour. La langue kazakhe, par exemple, possède un vocabulaire riche et étendu, mais, désormais, il s’agit plutôt d’un désavantage. Les langues riches et complexes sont perdantes face à l’anglais : deux pages de kazakh traduites en anglais tiennent en une seule page. Avec une syntaxe robotique, idéale pour les ordinateurs. C’est la force de la langue dominante.


 

Pour son septième titre depuis 1992 - avec un long arrêt depuis L’Étudiant (2012) -, le réalisateur, venu des mathématiques appliquées, nous propose un film plein d’humour, de gravité et de poésie, qui se fraie un chemin, même parmi les ruines. Poet est en effet un film sur la poésie qui se meurt, mais pas seulement.


 

Darezhan Omirbayev a choisi de mettre en parallèle la vie de Didar, jeune poète condamné presque au silence par sa besogne aride dans un quotidien, et celle du grand poète kazakh du 19e siècle, Makhambet Utemisov, figure légendaire de l’écrivain militant s’opposant aux autorités, décapité par Khan Zhangir, gouverneur du Kazakhstan. Pour accentuer ce parallèle, le réalisateur fait interpréter les rôles du jeune poète, de sa femme et de son enfant par les mêmes acteurs qui interprètent les rôles de Makhambet et de sa famille.


 

Le poète ancien s’est battu contre les autorités, le poète actuel se bat contre l’indifférence de la technologie face à la beauté de la langue et des mots du poème. Lorsque Didar est invité pour une lecture de ses œuvres dans un grand théâtre au fin fond du Kazakhstan, il n’y a, dans l’immense salle, qu’une jeune admiratrice bègue (interprétée par une étudiante du réalisateur), qui s’arrête de bégayer lorsqu’elle se met à lire l’un des poèmes de Didar en "public".


 

Inspiré d’un récit de Hermann Hesse, Soirée d’auteur (1), Poet, magnifiquement éclairé par le directeur de la photo, Boris Troshev avec lequel le cinéaste travaille depuis ses débuts, étonne par sa structure narrative qui peut sembler, au départ, confuse, mais qui s’articule sur deux points : le devenir du corps de Makhambet qu’on a arraché à la steppe pour l’analyser (que faire ensuite de ses reliques, à part construire un mausolée ?), et l’errance du jeune poète racontée comme dans un moderne road-movie. Mention particulière pour le jeune acteur, Yerdos Kanayev (Didar, découvert sur une vidéo d’un groupe folklorique de Shymkent.


 

Moralité : malgré la globalisation, la prédominance de la langue anglaise, les réseaux sociaux et la paresse intellectuelle, la poésie n’est pas morte. Comme un filet d’eau, elle continue de tracer sa route sur le sol en évitant les obstacles et elle peut éclater partout, et parfois même au cinéma. Ce beau film en est la preuve.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Hermann Hesse a reçu le Prix Nobel en 1946. Dans les années 1970, les éditions Suhrkamp commercialisèrent des disques où il récitait, à la fin de sa vie, des extraits de ses œuvres, dont Autorenabend (Soirée d’auteur).


Poet (Akyn). Réal, sc : Darezhan Omirbayev ; ph : Boris Troshev. Int : Yerdos Kanaev, AÎsa Abdurakhman, Klara Kabylgazina, Gulmira Khasanova (Kazakhstan, 2021, 105 mn).



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