home > Livres & périodiques > Livres > Gauville, Hervé (livre)
Gauville, Hervé (livre)
Le Cinéma par la danse (2020)
publié le samedi 15 janvier 2022

Hervé Gauville, Le Cinéma par la danse, Paris, Capricci, 2020.

par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma n°402-403, octobre 2020


 


Nous écrivions il n’y a guère ici-même que, quel que soit son support, un livre est un livre. Par conséquent, un ebook ou un pdf, comme ceux qu’il est de plus en plus coutume de recevoir en service de presse, a la même valeur qu’un livre imprimé, pour peu qu’on ne soit pas fétichiste. Les éditions Capricci nous ont adressé sous cette forme l’ouvrage de Hervé Gauville, Le Cinéma par la danse, qui appréhende le 7e Art à l’aune du 6e ou, si l’on veut, le capte, le considère, le prend ou comprend, l’attrape par la muse Terpsichore, comme le désir pouvait l’être, pour Pablo Picasso, par la queue.

L’ancien critique de danse à Empreintes, responsable de la rubrique d’arts plastiques à Libération, par ailleurs auteur du documentaire sur Régine Chopinot, L’Extase à bout portant, (1987) et du commentaire de celui de Benoît Jacquot, Merce Cunningham & Co (1982) nous offre un livre agréable à lire, sans aucun pédantisme ni jargon.

Il ne s’agit plus, fort heureusement, d’avancer des généralités comme cela a pu l’être dans l’ouvrage collectif, chez le même éditeur, Danse et Cinéma, où la responsabilité était en quelque sorte partagée, pour ne pas dire diluée, ni de s’aventurer dans de hasardeuses hypothèses ou de gratuites élucubrations, mais d’affirmer sa subjectivité, ses préférences, ses choix, quitte à faire preuve, en les déclinant, de bad gusto au prétexte de relativisme. On échappe au rhizome de Gilles Deleuze et Félix Guattari et aux autres réflexes conditionnés dont on fait usage dès qu’il s’agit d’analyser le mélange des genres. On évite la thèse universitaire pour Paris VIII-Saint-Denis comme le sermon de critiques de cinéma d’autrefois, aujourd’hui aux oubliettes.

L’auteur ne s’interdit ni quelque cliché ni une vision partiale (= américaine) de l’histoire du cinéma, nous allons le voir. Le métier de correcteur n’étant plus ce qu’il était, le livre présente deux coquilles facilement repérables ("quantités de trucs et d’astuces visuelles" au lieu de "quantité", p. 19 ; un "l" en trop au prénom de Ludmila Tcherina, p. 117). À de rares exceptions près, le corpus est constitué d’œuvres de ce qu’on appelait dans les années 70 le cinéma "dominant", celui de l’entertainment - la notion situationniste de spectacle n’étant pas synonyme de ce cinéma distractif, évasif, diversif, que Guy Debord citait volontiers ou, si l’on veut, détournait dans ses propres films. Enfin, si l’on excepte Princesse Tam-Tam et Daïnah la métisse, le champ filmographique est plutôt... wasp. De même, peu de femmes créatrices sont mentionnées - on pense par exemple à Alice Guy, Germaine Dulac, Margaret Mead, Katherine Dunham, Maya Deren, Mura Dehn, Shirley Clarke.

Dans le genre du musical hollywoodien, Hervé Gauville ne mentionne pas plus l’un des chorégraphes, devenu l’un des cinéastes les plus ingénieux, Busby Berkeley. Rita Hayworth, une fois encore, est convoquée pour le film Gilda, ayant pu l’être pour Cover Girl, du même réalisateur, qui est - mais est-ce si gênant que ça ? - un vrai film de danse.
La routine des petits pains de La Ruée vers l’or est sans doute plus prévisible que l’hommage de Charlie Chaplin à Vaslav Nijinski dans Une idylle aux champs. Les deux films sur Pina Bausch sont-ils, avec le recul, plus intéressants que, pour n’en prendre que deux, Les Rêves dansants ou La Plainte de l’impératrice - œuvre singulière signée de la chorégraphe, dont s’est inspiré Wim Wenders en délocalisant la danse du studio ou du plateau.
Le court métrage La Natation par Jean Taris champion de France de Jean Vigo est indiscutable mais hors du sujet annoncé. L’importance de Jean-Michel Guilcher, disciple de la dalcrozienne Alick Maud-Pledge, ne fait pas de doute, lui qui eut pour élève, notamment, Francine Lancelot, et qui fut à l’origine de la Cinémathèque de Bretagne avec, au départ ses films en 8 mm sur les danses traditionnelles. L’auteur évoque le diptyque diplope Torse qui "bouleversa la vision de la danse", mais aurait pu tout aussi bien citer l’excellent et récent documentaire de Alla Kovgan sobrement intitulé Cunningham.

La promesse de Hervé Gauville de faire émerger un "cinéma de la danse" qui place au premier plan "l’écriture du mouvement" est tenue. Malgré nos quelques réserves qui portent plus sur le contenu que sur la forme, sa relecture de la cinédanse vaut le détour, qui ouvre à l’analyse du film en général. L’ouvrage, en outre, est thématique et non chronologique, avec des titres de chapitres amusants : pas de deux, le ballet aquatique, solo, en transe, Rita dans tous ses états, bastringues et bals populaires, raouts et soirées dansantes, biopic 1, biopic 2, cocottes et cabarets, coda.

Nicolas Villodre
Jeune Cinéma n°402-403, octobre 2020


Hervé Gauville, Le Cinéma par la danse, Paris, Capricci, 2020.



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts