Ce film d’amour à l’ambiance vénéneuse, qui évoquera par certains côtés le thème de la Lorelei, est en passe de devenir un grand classique du cinéma chinois contemporain. Il parle de kidnapping, de riches, de pauvres, de truands, de cette rivière triste et polluée que Lou Ye contemplait depuis sa fenêtre lorsqu’il était enfant puis adolescent.

On ne comprend pas tout de ce film labyrinthe et un peu angoissant, sinon que nous sommes toujours en danger en raison de nos aventures amoureuses, du malheur qui peut s’abattre sur nous à tout moment et de la méchanceté environnante. Avec ses images sublimes, ces transformations des visages de femmes, c’est aussi une réflexion sur le double et le don de soi.

Le film, sorti en 2000, a été restauré en 4K en 2021, sous la supervision de Lou Ye lui-même, en partant du négatif 16 mm A-B d’origine. Le son a également été mastérisé en 5.1 et les bruitages recréés. Ainsi restauré, Suzhou River a été présenté en première mondiale au Festival de Berlin en 2022 dans la section Berlinale Classics.

Tout tourne autour de la rivière du titre, parce qu’elle est la véritable vedette : c’est sur elle qu’on travaille, qu’on se noie, qu’on voyage. Elle est plus qu’une rivière, elle est un poumon, certes meurtri, elle est ce qui apporte le rêve et la mort et elle est omniprésente comme dans les contes et les légendes. Elle est la mère de la ville, un amalgame de pollution, de chaos, de pauvreté et de vestiges du passé colonial de Shanghai. Pourtant, c’est aussi un refuge pour les souvenirs.

Film inoubliable, film pathétique, film de mafia, pouvant revêtir tous les qualificatifs, Suzhou River demeure un film ésotérique et envoûtant et la seule manière de le comprendre est de se laisser emporter par ses eaux très sales, entre cloaque et canal d’une Venise dérisoire, un Shanghai post ou pré-apocalyptique.

Ce film pourrait représenter une métaphore de la société : il a été tourné à la fin des années 90, qui marquent un tournant dans la vie politique de la République populaire de Chine. "Pour Suzhou River, en guise de ’politique’, déclare le réalisateur, on devrait parler de ’politique de la caméra’, parce que j’ai montré la politique à travers ma caméra. Il y a quatre personnages. Mais en fait, il y en a un de plus : la caméra".

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Suzhou River (Su Zhou he). Réal, sc : Lou Ye ; ph : Yu Wang ; mont : Karl Riedl ; mu : Jörg Lemberg. Int : Zhou Xun, Jia Hongshen, Hua Zhongkai (Chine-France-Allemagne, 2000, 83 mn).