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Caravage (2022)
de Michele Placido
publié le mercredi 28 décembre 2022

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°419, décembre 2022

Sortie le mercredi 28 décembre 2022


 


Michele Placido est acteur, réalisateur et scénariste. Acteur pour le cinéma de plus de soixante-dix titres, pour la télévision d’une trentaine, dont la série La Mafia (1984-1989), scénariste de six longs métrages et réalisateur de quinze, dont ce dernier consacré au peintre Caravage dans lequel il interprète le cardinal Francisco Maria Del Monte.


 

Le film relate les dernières années de la vie de Caravage (Riccardo Scamarcio), quand, accusé du meurtre du jeune noble Ranuccio Tomassoni en 1606, il fuit Rome et se réfugie à Naples. Le soutien fidèle de la marquise Costanza Colonna (Isabelle Hupert) et du cardinal Del Monte, lui donne l’espoir d’obtenir la grâce du pape pour revenir à Rome. Ce dernier diligente un inquisiteur surnommé l’Ombre (Louis Garrel) pour enquêter sur le peintre dont l’œuvre est jugée subversive et contraire à la morale de l’Église.


 

Le récit s’élabore autour des entrevues entre la marquise Costanza Colonna et l’Ombre. Les premiers plans décrivent une agitation bruyante autour du peintre ; les gens se bousculent et crient dans les ruelles surpeuplées où miséreux, prostituées, marchands et animaux se mêlent à la foule. Caravage cherche parmi les expressions des visages, la tête de Goliath pour son prochain tableau. Mais cette fois, il ne la trouvera pas dans la rue, car ce sera la sienne, son autoportrait suspendu par les cheveux. C’est sa tête tranchée et sanglante, peinte sur fond noir qui revient hanter le film à plusieurs reprises, en images animées et superposées, comme le remords et le repentir de sa vie.


 

Ainsi s’inscrit dans la pratique du peintre le désir de se racheter de la mort de Ranuccio et la volonté d’utiliser les figures de la rue comme modèles des scènes bibliques. On ne le voit presque jamais peindre, évitant ainsi le work in progress. En revanche, il compose ses sujets, les met en scène dans l’atelier, telle l’apparition extravagante du magnifique cheval blanc pour le tableau La Conversion de saint Paul, ou encore la scène de La Mort de la Vierge, incarnée par la belle Anna Annuccia Bianchini (Lolita Chammah) prostituée, enceinte et noyée dans le Tibre. Avec un soin rigoureux dans la lumière et une recherche du détail véridique dans la tonalité des décors, des costumes et des coiffures, les couleurs et les ombres s’installent et jouent avec l’éclat des éclairages placés au-dessus des scènes, en rappel du fameux clair-obscur cher au peintre.


 

Dans ces compositions cinématographiques et picturales s’immisce la vie violente, portée à la fois par la nécessité de peindre, l’existence enchaînée à l’œuvre, le temps qui fuit, comme les plaisirs charnels, les voluptés lascives, les jeux de l’amour banni, sans compter les nombreux duels, blessures, arrestations et exils. Un film fait de fougue et de passion, dans lequel s’exprime la soif de voir et de vivre, chacune entraînant l’autre dans un vertige sans fin. Le tout incarné par un Riccardo Scamarcio convaincant, tant son esprit et son jeu reflètent sa noblesse d’âme, son attention pour les déshérités, les perdus, les femmes ; il se bat pour l’une d’elle violentée par son mari, en aime une autre et enfin refuse le pacte proposé par l’Ombre : la vie sauve à condition de cesser de peindre ses œuvres scandaleuses. Michele Placido filme un homme d’exception, consacré pleinement à son art, qu’il veut, avec une exigence absolue, rendre accessible au peuple.


 

Souvenons-nous du Caravage réalisé en 1985 par le réalisateur britannique Derek Jarman. Une vie du peintre plus émotionnelle et sensitive que violente, construite à partir des œuvres en de superbes tableaux vivants. Un film dans lequel la subjectivité du réalisateur l’emportait sur l’authenticité de la vie réelle du Caravage, laissant libre cours à l’anachronisme, ce qui finalement brouillait ce que l’on imagine être la vérité de la vie du peintre.


 

Le film de Michele Placido est à l’inverse et se présente comme un monument à l’artiste, à l’aide d’une mise en scène somptueuse, aussi bien les moindres détails des décors que la façon pour les personnages d’appréhender le récit. Une unique idée : celle du "Voir", voir toujours plus et au plus près de la vie, pour peindre.
Par ailleurs, Michele Placido ne craint pas de présenter le peintre meurtrier, assassiné probablement sur ordre de l’Église de la contre-réforme, aussi génial que rebelle, à l’instar de Giordano Bruno philosophe et frère dominicain, brûlé vif par l’Inquisition, après huit années passées en prison pour avoir défendu l’idée d’un univers infini et d’une pluralité des mondes.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°419, décembre 2022


Caravage (L’ombra di Caravaggio). Réal : Michele Placido : sc : M.P., Sandro Petraglia & Fidel Signorile ; ph : Michele D’Attanasio ; mont : Consuelo Catucci. Int : Riccardo Scamarcio, Louis Garrel, Isabelle Huppert, Michele Placido, Lolita Chammah (France-Italie, 2022, 118 mn).



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