home > Films > Hinterland (2021)
Hinterland (2021)
de Stefan Ruzowitzky
publié le mercredi 28 décembre 2022

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°419, décembre 2022

Sélection officielle du Festival de Locarno 2021.
Prix du public.

Sortie le mercredi 28 décembre 2022


 


Un ancien inspecteur de police, Peter Perg, est de retour de la Grande Guerre après avoir passé plusieurs années dans un camp de prisonniers du front Est ; concomitamment, une série d’étranges meurtres a lieu.
Hinterland marque les esprits par son recours à deux partis pris esthétiques forts. D’une part, celui du fond vert intégral pour reproduire la Vienne de l’époque et, d’autre part, celui de représenter l’environnement de manière expressionniste et distordue, dans la droite ligne du Cabinet du docteur Caligari.


 


 

L’un et l’autre de ces effets ont pour but d’offrir une représentation de la vision détraquée de son milieu que procure l’esprit en souffrance d’un héros traumatisé de guerre. Le tour de force de Hinterland réside dans le fait que, malgré ces partis pris radicaux, l’attachement aux personnages fonctionne. C’est parce que, à l’expressionnisme des décors se joint une forme de naturalisme du jeu pour l’ensemble de la distribution, joint au magnétisme de l’interprète de Peter Perg, Murathan Muslu. Un acteur qui parvient à exprimer les faiblesses et les souffrances psychologiques de son personnage au travers de postures ou de regards expressifs sans tomber dans la caricature.


 


 

L’autre raison de la réussite du film réside dans l’efficacité de l’écriture d’une intrigue criminelle qui repose sur un double processus : éclairer son passé pour offrir une possibilité de rédemption au personnage, et dépeindre l’ambiance du direct après-guerre au sein de la société autrichienne en nimbant l’arrière-plan scénique d’une multitude de détails contextuels historiques. Ces détails, outre la récréation de l’atmosphère d’époque, sont utiles pour montrer toutes les menaces en germes pesant sur ce monde déboussolé. Ce faisant, plus que leur utilité immersive, la force de ces éléments tient au fait que leur nature funeste soit bien connue du public, mais ignorée par les protagonistes ; ces données semblant insignifiantes à leurs yeux.


 

En résulte la création d’une forme d’ironie dramatique permanente qui pèse sur la destinée des personnages sans qu’ils le sachent et qui contribue à la puissance tragique du film. Et s’il faut admettre que, parfois, ces détails sont légèrement trop appuyés, tandis que la multiplication des personnages rend certains passages de l’intrigue un peu confuse, la justesse de l’écriture globale de Stefán Ruzowitzky, proche de celle de Fritz Lang lorsqu’il traite de la folie criminelle, compense ces imperfections.


 


 

Le film interroge ainsi intelligemment l’impact de la violence de guerre, tout comme l’accélération des mutations d’un monde en perdition, sur l’esprit des individus. Plus qu’un énième film historique sur la guerre ou qu’un polar baroque, Hinterland propose donc une réflexion fine sur des problèmes éminemment contemporains, et fait preuve d’une subtile complexité dont la force principale émane de cet étrange mélange entre naturalisme psychologique et frontalité visuelle expressionniste.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°419, décembre 2022


Hinterland. Réal, sc : Stefan Ruzowitzky ; sc : Robert Buchschwenter & Hanno Pinter ; ph : Benedict Neuenfels ; mont : Oliver Neumann ; mu : Kyan Bayani. Int : Murathan Muslu, Liv Lisa Fries, Marc Limpach, Max von der Greoben, Maximilian Jadin (Autrich-Luxembourg, 2021, 98 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts