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Missiaen, Jean-Claude (livre)
Le Cinéma en héritage (2017)
publié le mardi 29 décembre 2020

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°388-389, été 2018

Jean-Claude Missiaen, Le Cinéma en héritage. Mémoires, Paris, Riveneuve/Archimbaud éd., 2017.


 


Le nom de l’auteur n’évoque sans doute pas grand-chose chez les jeunes générations de cinéphiles. Pour la vieille garde, il demeure le premier critique à avoir écrit le premier livre en français (mais y en eut-il d’autres ?) sur Anthony Mann, en 1964, dans une collection ("Classiques du cinéma") et chez un éditeur (Éditions universitaires) qui n’accueillaient d’habitude que des cinéastes au renom éprouvé - ce que Anthony Mann considéré comme un auteur de westerns, n’avait pas encore.

La réussite de l’approche eut pour résultat, deux ans plus tard, de voir surgir un Howard Hawks dans la même collection. Mais Jean-Claude Missiaen était aussi un des assidus des deux salles de la Cinémathèque, remarqués à chaque séance importante de ces années fertiles en découvertes, seul ou en compagnie de ses amis Pierre Risssient et Bertrand Tavernier, tous attachés de presse inventifs, remuants et obstinés. L’un et l’autre nous ont chacun déjà conté leur histoire à l’ombre des écrans, à peu près identique à quelques années d’écart. Et ces mémoires aujourd’hui publiées ne dépareront pas les précédentes.

Il faudrait un jour compter le nombre de gens de cinéma, grandis à Paris entre 1920 et 1960, pour qui le Gaumont Palace fut un berceau d’images, fréquenté régulièrement ou dans les grandes occasions. Jean-Claude Missiaen n’y a pas échappé, et on comprend son itinéraire : commencer par Les Aventures de Robin des Bois de Michael Curtiz & William Keighleyet (1938) et Le Voleur de Bagdad de Ludwig Berger, Michael Powell & Tim Whelan (1940), a de quoi vous marquer définitivement, au plus profond. Comme de découvrir à Londres, à leur sortie en 1955, Vera Cruz de Robert Aldrich (1954), et L’Homme de la plaine de Anthony Mann (1955). Le reste suivra naturellement.
Il suffit de glisser un pied dans la porte, grâce à Maurice Bessy et le voilà rédacteur au Film français puis au Nouveau Cinémonde. Cannes, la Universal et ses films à promouvoir, le train est lancé qui ne s’arrêtera plus guère. La liste des cinéastes qu’il doit cornaquer lorsqu’ils viennent à Paris accompagner la sortie de leurs films est un who’s who du moment : Abraham Polonsky, Vittorio De Sica, Gillo Pontecorvo - il râle avec raison contre le ridicule article de Jacques Rivette sur Kapo (1961) -, Jacques Tourneur, Bernardo Bertolucci - Le Dernier Tango (1972) -, Sergio Leone, Federico Fellini, Elia Kazan, Joseph Losey, Ralph Nelson - Ah, Soldier Blue (1970)... Sans compter les Français, René Clément - il regrette, avec raison également, le mépris dans lequel le tiendra la Nouvelle Vague -, ou Yves Boisset - ayant, comme beaucoup, crapahuté quatorze mois en Algérie en 1960, il était destiné à défendre R.A.S. (1973). Joli palmarès. Et on a oublié de citer tous les acteurs de passage, Burt Lancaster, Olivia de Havilland, Charles Bronson, Clint Eastwood.

C’est d’ailleurs une actrice qui lui vaudra d’entrer dans notre panthéon personnel, à travers le somptueux ouvrage qu’il consacre en 1978 à Cyd Charisse et que publiera Henri Veyrier (1). Les éditions de La Martinière n’ont rien inventé : 288 pages grand format pour retracer soigneusement une carrière cinématographique alors achevée (Cyd ne fera plus ensuite que de la TV), avec des documents recueillis à la meilleure source, l’actrice elle-même. À une époque où il fallait attendre plusieurs années pour revoir Tous en scène (The Bandwagon) de Vincente Minnelli (1953), les vingt-deux photos pleine page qui reprenaient les ballets "Dancing in the Dark" ou "Girl Hunt" étaient un cadeau du ciel - à notre connaissance, jamais réédité.

À force de vendre les films des autres, il était inévitable que Jean-Claude Missiaen décide un jour de franchir la barrière et vérifie si ce qu’il avait appris en regardant chez Anthony Mann ou Abraham Polonsky lui serait utile.
Des trois films qu’il a tournés entre 1982 et 1985, Tir groupé (1982), Ronde de nuit (1984) et son savoureux duo de flics, Gérard Lanvin et Eddy Mitchell, et La Baston (1984), nous n’avons hélas que les souvenirs du temps (même s’il sont certainement encore accessibles aujourd’hui), celui de trois polars d’allure américaine, tout à fait réussis et salués par la critique, ce qui est bien, mais par le public, ce qui est mieux (les deux premiers ont chacun atteint trois millions d’entrées). Curieusement, c’est sur cette partie de son trajet que l’auteur est le moins disert : quinze pages (171-186), alors qu’on souhaiterait en savoir plus.

À ces 192 pages de texte s’ajoutent, en cahier central, 128 pages de photos aussi superbes que celles du Cyd Charisse. Tous les films qui ont compté, tous les acteurs, Burt Lancaster en particulier, avec des documents rares, et les actrices - Sylva Koscina, Susan Clark, Suzannah York - qui ont croisé sa vie, sont là, en 241 photographies qui, à elles seules, vaudraient l’achat de l’ouvrage si ce que nous livre par ailleurs Jean-Claude Missiaen n’était pas aussi passionnant.

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°388-389, été 2018

1. Jean-Claude Missiaen, Cyd Charisse. Du ballet classique à la comédie musicale, Paris, Henri-Veyrier, 1979.


Jean-Claude Missiaen, Le Cinéma en héritage, Mémoires, Paris, Riveneuve/Archimbaud éd., coll. Riveneuve Cinéma, 2017, 192 p. + 128 pages d’illustrations.



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