par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°416, été 2022
Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 2022
Sortie le mercredi 4 janvier 2023
1917, dans un village au Sénégal, des militaires français viennent recruter de forces de jeunes hommes pour les envoyer combattre sur le front en France. Parmi eux Thierno âgé de 17 ans. Son père, Bakari Diallo (Omar Sy) inquiet décide de s’enrôler pour le rejoindre et le ramener à la maison. Ils se retrouvent dans le même régiment du côté de Verdun.
Le fils est repéré par son capitaine qui le fait passer au rang de caporal. Cette promotion le conduit donc à être en position de donner des ordres à son propre père. Lequel cherche par tous les moyens à fuir, si possible avec son fils pour retourner au pays. Son plan échoue alors que la bataille fait rage pour essayer de conquérir un peu de terrain sur l’ennemi allemand.
Lors d’un assaut, le père libère un renard pris dans le réseau de barbelés. Plus tard, il est fauché par l’explosion d’un obus sous les yeux de son fils qui sera décoré pour sa bravoure. Peu de temps après l’armistice les restes de Bakari sont exhumés et mis dans une caisse pour faire partie de ces soldats inconnus dont l’un sera sélectionné au hasard pour être enterré sous l’arc de triomphe. On est à la jonction avec le film de Bertrand Tavernier, La Vie et rien d’autre (1989).
Fortement voulu par Omar Sy qui en est aussi producteur, il s’agit donc du premier film consacré aux tirailleurs sénégalais.
Si le film bénéficie de moyens non négligeables, il n’en est pas moins guidé par des choix tout à fait intéressants. À commencer par celui de la langue utilisée, le Peul, en particulier par Omar Sy. Ensuite, la mise en scène et le scénario évitent le spectaculaire pour se concentrer sur des aspects plus intimes. En particulier sur la manière dont le contexte transforme la vie de ces deux personnages, père et fils, bousculant leur culture traditionnelle.
Pour Thierno, les choses sont sans doute encore plus patentes car il doit affronter cette situation qui lui est imposée plus qu’elle n’est choisie. Il faut aussi reconnaître que le film doit une grande part de sa subtilité au jeu tout en retenue des acteurs, en particulier chez Omar Sy qui à aucun moment ne cherche à s’imposer par sa notoriété. Tout entier habité par son désir de réhabiliter la mémoire de ces hommes relégués dans les arrières plans de l’histoire. (1)
Bernard Nave
Jeune Cinéma n°416, été 2022
1. Il faut rappeler un événement largement relégué : le massacre de Thiaroye, le 1er décembre 1944, près de Dakar. Les tirailleurs sénégalais, revenus du front, protestent contre le non-paiement de leur solde. La répression par les gendarmes français et les troupes coloniales fait 70 morts.
En 1987, Ousmane Sembène (1923-2007) a réalisé un film de 157 mn consacré à cet événement : Camp de Thiaroye (Banned), Prix spécial du jury à la Mostra de Venise 1988. Le film n’est jamais sorti en salle en France. On le trouve en DVD depuis 2005.
En 2004, Rachid Bouchareb a réalisé un court-métrage d’animation, L’Ami y’a bon qui retrace l’histoire d’un tirailleur, de sa mobilisation jusqu’à sa mort à Thiaroye. On le trouve en DVD.
Il faut enfin mentionner le premier documentaire de René Vautier (1928-2015), Afrique 50 (1950), ce "premier film anticolonialiste" tel qu’il est partout défini, et les multiples péripéties, censures, et destructions qu’il a connues avant d’être vu et reconnu. Le réalisateur, lui a écopé d’un an de prison pour avoir filmé la réalité de ce qu’on appelait à l’époque l’AOF.
En DVD chez Les Mutins de Pangée depuis 2013.
Tirailleurs. Réal : Mathieu Vadepied ; sc : M.V. & Olivier Demangel ; ph : Luis Armando Arteaga ; mont : Xavier Sirven ; mu : Alexandre Desplat. Int : Omar Sy, Alassane Diong, Jonas Bloquet (France-Sénégal, 2022, 109 mn).