par Michael Snow
Film-Culture n°52, printemps 1971
Jeune Cinéma n°117, mars 1979
Sélection de la Mostra du nouveau cinéma de Pesaro 1972
Il y a plus de cinq ans j’ai commencé à me poser la question de savoir comment faire un vrai film paysagiste dans lequel l’espace serait complètement ouvert.
Wavelength en 1966-67, Standard Time en 1967 et <---> en 1969 s’étaient servis, chacun avec sa propre finalité, d’espaces rectangulaires et circonscrits.
Dans New York Eye and Ear Control en 1964 il y avait déjà tant l’espace de la ville que celui de la campagne, mais ils faisaient partie d’un contexte totalement différent de ce qu’on appelle "paysage".
Je voulais faire un film dans lequel ce que l’œil de la machine de prise de vue fait dans l’espace serait totalement semblable mais en même temps totalement égal à ce qu’on voyait. Quelques paysagistes dans quelques tableaux ont atteint l’unité entre la méthode et le sujet. Cézanne par exemple a produit une - disons la dernière - relation incroyablement équilibrée entre ce qu’il faisait et ce que, apparemment, il voyait. Dans Standard Time, il y avait déjà le germe de cette idée. Dès que je me suis aperçu de ce qui avait été vérifié à travers une continuité de panoramiques circulaires horizontaux, j’ai compris ce qu’on pouvait en tirer. En les orchestrant de manière adéquate, on pouvait obtenir d’eux des effets psycho-physiques de grande efficacité.
Tu as vraiment l’impression de tourner sur toi-même. Si tu te laisses prendre entièrement par la réalité de ces mouvements circulaires, tu as l’impression que c’est toi qui tournes, entouré par tout le reste, ou vice versa que tu es le centre statique autour duquel tourne toute chose.
Mais sur l’écran il y a un centre qui ne se laisse jamais voir, qui est mystérieux. Un des titres que j’avais pris en considération était " ! ? 432101234 ? !" (adaptation du titre d’une sculpture) qui devait exprimer le concept qu’en réduisant les dimensions, on rejoint le zéro, et dans ce film ce zéro représente le centre absolu, zéro nirvanique, comme le centre extatique d’une sphère complète. La caméra opère une rotation de 360 degrés dans le sens horizontal comme dans toutes les directions et sur tous les plans d’une sphère autour d’un centre invisible, et elle ne se limite pas à se mouvoir le long d’orbites et de spirales préétablies, mais elle tourne et vire elle-même de manière à créer des cercles dans les cercles et des cycles dans les cycles.
Quand je parle de mes films je crains, parfois, de donner l’impression qu’ils ne sont rien d’autre que la démonstration d’une thèse. Ils ne le sont pas. Ils sont des expériences, des expériences pures et vraies même si elles sont représentatives. Naturellement la structure est importante et on la décrit parce qu’elle est plus facilement descriptible que les autres aspects, mais la forme, et avec elle tous les autres éléments, conduit à quelque chose qui ne peut s’expliquer avec des mots et c’est elle la raison d’être, la raison d’exister de l’œuvre. [...]
En voyant One second in Montreal (1969), il faut être en état de s’identifier, par une certaine extension du temps, avec ce qui est en train d’arriver pour pouvoir commencer à le comprendre, à penser contemporainement à lui. Le film est fait littéralement de longueurs de temps.
La même chose vaut pour La Région centrale, mais sur un mode très différent. On traite d’un grand espace et cela nécessitait donc beaucoup de temps. C’est une chose faisable de toute manière. Et puis trois heures, ce n’est pas si long, cela peut se voir. C’est embarrassant de dire cela, mais dans les limites de mon travail, j’avais à l’esprit les grandes compositions religieuses comme La Passion selon Saint-Matthieu, La Messe en si mineur, La Passion selon Saint-Jean, L’Oratorio de l’Ascension. Bach, quel artiste ! J’aimerais qu’il puisse écouter et voir La Région centrale. Différentes philosophies et religions ont souvent pris en considération l’hypothèse, dans certains cas le dogme, que la transcendance serait une fusion des contraires. Dans <--->, il y a la possibilité d’obtenir cette fusion par le moyen du mouvement rapide. J’ai dit en d’autres occasions, et peut-être puis-je me citer moi-même : " New York Eye est philosophie, Wavelength métaphysique, et <--->, physique". Par "physique", j’entends la transformation de la matière en énergie. E = mc2.
La Région centrale est un prolongement de ce concept. Mais il devient simultanément micro et macro, atomique et cosmico-planétaire. La totalité s’obtient en termes de cycles plutôt qu’en termes d’action et réaction. Cela passe par-dessus tout cela. Le film n’est pas seulement une prise de vues documentaire sur un lieu particulier à divers moments de la journée. C’est en même temps et à plus proprement parler une source de sensations où s’ordonnent les mouvements des yeux et les vibrations internes des oreilles. Là où le film commence il respecte notre état de sujétion à la force de gravité, mais peu à peu sa vision devient celle des planètes.
Michael Snow
Extrait d’un entretien avec Charlotte Townsen (décembre 1970).
Film-Culture n°52, printemps 1971.
Jeune Cinéma n°117, mars 1979
* La revue Film Culture, fondée en 1955 par Jonas & Adolfas Mekas est parue à New York entre 1955 et 1996.
* Merci au Quaderno Informativo n°40, brochure d’information du Festival de Pesaro 1972.
Cf. aussi :
* "Entretien avec Jean Delmas", Jeune Cinéma n°117, mars 1979.
* "Entretien avec Joe Medjuck", Jeune Cinéma n°117, mars 1979.
* Wavelength. Réal, sc, ph, mont : Michael Snow ; mu : Tom Wolff. Avec Hollis Frampton, Lyne Grossman, Naoto Nakazawa, Roswell Rudd, Amy Taubin, Joyce Wieland, Amy Yadrin (Canada-USA, 1967, 45 mn).
Grand Prix du Festival de Knokke-le-Zoute 1967.
* Standard Time. Réal : Michael Snow. Avec Joyce Wieland (Canada, 1967, 8 mn).
* One Second in Montreal. Réal : Michael Snow (Canada, 1969, 17 mn).
* La Région centrale. Réal : Michael Snow ; ph : Pierre Abbeloss (Canada, 1971, 180 mn). Documentaire.
Sélection de la Mostra du nouveau cinéma de Pesaro 1972.
* New York Eye and Ear Control. Réal : Michael Snow ; mu : Albert Ayler, Don Cherry et Gary Peacock. Avec Albert Ayler, Don Cherry, Sunny Murray, Gary Peacock, Roswell Rudd, John Tchicai (Canada, 1972, 34 mn).
* <---> (Back and Forth). Réal, mont : Michael Snow. Avec
Allan Kaprow, Emmett Williams, Max Neuhaus, Joyce Wieland, Luis Camnitzer, Jud Yalkut, Ay-o, Susan, Anne, Mary, Scotty (Canada, 1969, 52 mn).
Sortie à Paris le 4 décembre 1971.