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Cannes 2012 : Panorama-bilan
Cannes 2012, 65e édition (16-27 mai 2012)
publié le samedi 14 juillet 2012

Curieusement, l’annonce de la sélection officielle cannoise n’a pas déclenché le commentaire habituel - "Décidément, ce sont toujours les mêmes abonnés qui sont choisis".
Peu de voix cette fois-ci se sont élevées contre la présence de Resnais, Kiarostami, Loach, Cronenberg, Haneke, Audiard, Salles ou Reygadas, qui ont pourtant tous déjà plusieurs fois arpenté le tapis rouge.
Mais le cru 2011 avait prouvé que ce sont souvent les cinéastes renommés qui signent les meilleurs films, et le souvenir éblouissant de la 64e édition a paralysé les mauvaises langues, les uns et les autres se promettant in petto de mener la charge le moment venu, si les œuvres n’étaient pas à la hauteur attendue.

La seule accusation lancée - par un collectif militant féminin aux visées par ailleurs défendables, La Barbe - fut celle de sexisme, aucune réalisatrice n’ayant été retenue pour la compétition. Il est un fait que celle-ci était uniquement masculine, mais il serait stupide d’y voir une volonté d’ostracisme - les films proposés cette année par des réalisatrices (infiniment moins nombreuses, à l’échelle planétaire, que les réalisateurs) étaient, tout simplement, moins réussis : la Quinzaine des réalisateurs en avait choisi deux (sur vingt-deux) et la Semaine de la Critique aucun (sur sept en compétition).
Les différentes sections du festival ne sont pas discriminantes, il ne s’agit pas d’un Festival international du film d’hommes qui se vengerait de celui de Créteil. Lorsque Maïwenn, Jane Campion ou Lynn Ramsay font un grand film, il est sélectionné, parce qu’il le vaut et non pour des raisons chromosomiques. Il est dommage de devoir rappeler des banalités aussi évidentes.

 

Compétition officielle

 

Outre les cinéastes célèbres déjà cités, et quelques "jeunes" de bonne réputation, Cristian Mungiu, Thomas Vinterberg, Ulrich Seidl, Sergei Loznitsa ainsi que les deux Sangsoo, Im et Hong, la compétition présentait des noms moins fréquentés et encore inédits à ce niveau, réunis sous la bannière américaine, qu’ils soient australien (John Hillcoat), néozélandais (Andrew Dominik) ou authentiques étatsuniens (Wes Anderson, Lee Daniels et Jeff Nichols).
La volonté d’un apport de sang neuf par le recours au cinéma de genre s’était déjà manifestée l’an dernier à travers le pari audacieux, et réussi, de Nicolas Winding Refn et de Drive. Même s’il ne s’agissait pas d’inconnus - Anderson a ses fanatiques, Daniels a remporté deux Oscars en 2009 avec Precious, Take Shelter de Nichols avait été une des sensations parallèles de Cannes 2011, Hillcoat a signé en 2005 un chef-d’œuvre, The Proposition  -, il y avait là un gisement appétissant, de quoi trancher sur les “films de festivals”.
L’opération n’a obtenu qu’un demi-succès critique, parfois à raison, ni Lawless de Hillcoat ni The Paperboy de Daniels ne parvenant à transcender les canons du genre abordé, film de bootleggers pour le premier, polar sudiste référentiel pour le second, sans que le résultat soit pour autant décevant ; question de positionnement face au classicisme du genre : respecter ou faire éclater les règles, that is the question.

En revanche, Wes Anderson avec Moonrise Kingdom, a fignolé une nouvelle pièce délectable qui vient prendre sa place dans le puzzle qu’il fabrique depuis bientôt quinze ans ; il y a un univers andersonien, et si l’on est sensible à sa naïveté apparente et au décalage permanent pratiqué, on s’y trouvera en pays de connaissance. Même satisfaction devant Killing Them Softly  : à partir d’un argument éprouvé, Andrew Dominik réalise un surprenant film noir, à la fois violent et immobile.

Mais c’est Jeff Nichols qui couronne cette partie neuve de la sélection, avec un superbe Mud, qui retrouve les grands thèmes de la fiction américaine, l’initiation, le Mississippi, l’amour et la vengeance - assurément, un auteur est né.

Les réactions de la critique, celles qui s’affirment en quelques minutes après les séances matinales, dans les croisements fiévreux devant les casiers de presse où se décide la tonalité générale de l’accueil, ont été mesurées, dans l’attente du film qui trancherait sur les autres. Celui-ci est tôt arrivé : dès le quatrième jour, les jeux étaient faits et les huit palmes attribuées à Amour de Michael Haneke, par les quinze représentants de la presse hexagonale dans le baromètre quotidien du Film français, n’ont jamais été égalées.

D’où les quelques froncements de nez qui ont suivi devant une sélection jugée "terne". Terne, l’éblouissante variation sur les acteurs en abyme de Vous n’avez encore rien vu de Alain Resnais ? Ternes, les avatars grandioses de Denis Lavant dans Holy Motors de Leos Carax  ? Ternes, les séquences inspirées (même si peu compréhensibles) de Post tenebras lux de Carlos Reygadas ? Et l’univers en déliquescence de Cosmopolis de David Cronenberg ? Et la mise en scène impeccable de L’Ivresse de l’argent de Im Sangsoo ? Et l’effarant voyage au bout du désespoir de Paradis : Amour de Ulrich Seidl ? On peut concéder quelques failles : un Hong Sangsoo qui s’obstine à exploiter son fonds de commerce avec In Another Country, l’interminable pensum mystique de Cristian Mungiu, Au-delà des collines - mais on lira plus loin des commentaires plus avenants.

Si l’on peut admettre qu’il n’y avait pas cette année autant de films inoubliables qu’en 2011, le bilan reste largement positif. Ce qu’il sera difficile d’oublier, c’est le palmarès, qui, à lui seul, jette une ombre sur le festival.
La composition du jury, constitué d’individualités respectables, et la présidence éveillée de Nanni Moretti, laissaient prévoir des récompenses un peu surprenantes - ce dernier ayant réclamé des films "qui l’étonnent".
L’étonnement et la surprise, ce sont les choix finaux qui nous les ont apportés.
La Palme exceptée, on a rarement vu autant d’attributions abusives et d’oublis immérités. Matteo Garrone repartant avec un Grand Prix, déjà obtenu en 2008 pour un Gomorra d’une tout autre ampleur que son Reality, qui enfonce, certes plaisamment, quelques portes depuis longtemps ouvertes. Ken Loach, 70 fois primé depuis Kes, décrochant pour La Part des anges un Prix du Jury, saluant d’habitude un réalisateur plein d’espoirs. Mungiu récoltant à la fois un Prix du Scénario (pour un fait réel étiré filandreusement sur 155 minutes) et un prix collectif d’interprétation féminine pour ses deux actrices non-professionnelles.
À la trappe Audiard, Resnais, Carax, Nichols, Cronenberg, Salles, Marion Cotillard, Margarethe Tiesel (chez Seidl). Par bonheur, Madds Mikkelsen dans La Chasse, de Thomas Vinterberg a sauvé un prix d’interprétation masculine qu’il méritait depuis longtemps. Le Monde titrant sur “un palmarès en demi-teinte” était bien en-dessous de la litote. Mais passons.

 

Un certain regard

 

La section Un certain regard, toujours roborative, a revélé un grand film, Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin, lauréat justifié de la Caméra d’or, après son succès au Sundance Festival, mais également quelques titres remarquables : Después de Lucia de Michel Franco, tout à fait digne du prix que le jury présidé par Tim Roth lui a décerné, À perdre la raison et Laurence Anyways, qui prouvent que leurs jeunes auteurs, dans l’ordre Joachim Lafosse et Xavier Dolan, sont à la hauteur des promesses déjà entrevues, Gimme the Loot de Adam Leon, attachante plongée dans le petit monde du Bronx, Djeca de Aida Bejic, qui confirme les qualités de son précédent Snow.
Et surtout l’inattendu Renoir de Gilles Bourdos, superbe recréation des dernières années du peintre et des jeunes années du cinéaste et de Catherine Hessling ; Michel Bouquet "croquant" Christa Théret dans la lumière veloutée de l’été niçois, c’était là une belle manière de clore la section.

 

Quinzaine des réalisateurs

 

Édouard Waintrop, nouveau délégué de la Quinzaine des Réalisateurs, avait une rude partie à remonter, tant les choix des années précédentes avaient tiré la section du côté théorico-branché qui convient tant à une certaine frange de la critique parisienne mais qui, sur le plan du plaisir et de l’intérêt du spectacle, avoisine les basses marées.

Faute d’avoir vu toute la sélection, on se gardera d’une appréciation globale - mais tout ce que l’on a vu valait le voyage, tant les titres français - Adieu Berthe de Bruno Podalydès ou Camille redouble de Noémie Lvovsky, que les titres anglo-saxons - The We and the I de Michel Gondry ou Sightseers de Ben Wheatley, et les sud-américains - Fogo de Yulene Olaizola, No de Pablo Larrain ou La noche de enfrente ultime et magnifique film de Raul Ruiz.
Regrettons de n’avoir pas disposé de suffisamment de loisirs pour assister aux 320 minutes des Gangs de Wasseypur de Anurag Kashyap. En tout cas, s’affirme, sous cette nouvelle direction, un cinéma avec lequel nous nous sentons désormais beaucoup plus en connivence - la Quinzaine est redevenue fréquentable.

 

Semaine de la critique

 

Nouveau cours également à la Semaine de la Critique, Charles Tesson ayant remplacé Jean- Christophe Berjon, mais plus de l’ordre du changement dans la continuité, pour reprendre l’expression jadis célèbre.
Si le film ibéro-mexicain de Antonio Mendez Esparza, Aqui y alla, a été justement récompensé, Peddlers de l’Indien Vasan Bala mis à part, ce que l’on a vu ne nous a pas toujours envoûtés - et surtout pas Au galop de Louis-Do de Lencquesaing.

En revanche, J’enrage de son absence, première fiction de Sandrine Bonnaire, est une variation intéressante sur l’enfermement volontaire, à rapprocher de Io e te, de Bernardo Bertolucci, joli retour à la surface après presque dix ans d’arrêt. Ce dernier fut présenté en sélection officielle, mais en séance spéciale.
Celles-ci représentent d’agréables parenthèses non formatées, expériences personnelles ou essais divers mal intégrables en compétition. Si l’on peut charitablement oublier Mekong Hotel de Apitchatpong Weerasethakul et Le Serment de Tobrouk, journal de guerre à la gloire de Bernard-Henri Lévy, réalisé par Bernard-Henri Lévy, avec un commentaire de Bernard-Henri Lévy et Bernard-Henri Lévy dans le rôle principal, assurément un des films comiques (par accident, car il traite de choses graves) les mieux réussis de la décade, il faut noter une série de documentaires d’excellente catégorie, signés Raymond Depardon & Claudine Nougaret ( Journal de France ), Sébastien Lifshitz ( Les Invisibles ), Candida Brady ( Trashed ), Ken & Sarah Burns - David McMahon ( The Central Park Five ) et Fatih Akin ( Müll im Garten Eden ) - qui tous sont abordés plus loin en détail.

Chaque année, les dresseurs de bilan les plus aventureux tentent de déterminer une thématique générale traversant la centaine de films proposés et qui définirait le millésime - année de la crise, année de l’inquiétude, année du pouvoir, année, etc., comme si l’inspiration des cinéastes dépendait d’un seul sentiment du temps objectif, comme si le sismographe géant de Cannes ne réagissait qu’à un seul type de secousses.
Nous ne sacrifierons pas à ce jeu : comme d’habitude, il y a eu sur l’écran du sang, de la volupté, des larmes, de la mort et de l’amour, à doses bien partagées.
Plus, ou moins, qu’en 2011 ? Quelle importance ?
Rendez-vous en 2013, après l’apocalypse maya.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°346, juillet 2012



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