par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection du Cinéma du Réel 2022
Sortie le mercredi 11 janvier 2023
Le sujet est dans l’air. En l’espace de quelques semaines, trois films sortent qui s’intéressent au passage de clandestins parvenus en Italie, franchissant les cols alpins pour demander asile en France.
Les deux premiers sont Les Engagés de Émilie Frèche (2022), inspiré de l’affaire des Sept de Briançon, jugés pour avoir facilité l’entrée illégale dans notre pays d’une vingtaine de migrants, et Les Survivants de Guillaume Renusson (2023) qui traite ce thème à la manière d’un thriller. Ceux de la nuit de Sarah Leonor a le mérite d’échapper au naturalisme, au prosélytisme, au sensationnalisme.
La cinéaste, qui alterne documentaires et fictions, a tenu compte de différentes contraintes. "Ceux de la nuit", invisibles par définition, risquent leur vie. Les "maraudeurs" leur venant en aide sont passibles d’amendes, voire de peines de prison. Il était donc essentiel pour la réalisatrice de garder leur anonymat. À cela s’ajoutait pour elle une question d’éthique : "Au refuge de Briançon, je n’ai pas pu sortir ma caméra. Je ne suis pas un reporter ni une journaliste. Filmer le visage de quelqu’un, qu’il soit comédien ou non, est un geste quasi sacré. Un rapport doit être établi entre le filmeur et le filmé".
Si elle se réclame du "cinéma de la frontière" de Chantal Akerman, Sarah Leonor s’en distingue à plusieurs titres. Ainsi, au lieu de juxtaposer visages et paysages - cf. les entretiens entrecoupés de longs travellings sur des autoroutes dans De l’autre côté (2002) -, elle imagine un dispositif différent, où prédomine la bande-son. Elle a réduit à trois les sept interviews de maraudeurs. De ce fait, ses protagonistes sont mi réels, mi fictifs. D’autant qu’elle n’a pas conservé leur vraie voix, les monologues étant dits par des comédiens professionnels. Ces contraintes l’ont "aidée à trouver la forme du film".
Deux voix, une féminine, l’autre masculine, expliquent les conditions dans lesquelles bénévoles et volontaires français, italiens et suisses arpentent les chemins du Queyras pour secourir les exilés. On entend un témoignage datant de… 1895, celui du lieutenant Mourrat en poste au col Agnel, dont les hommes offrirent du vin chaud et une courte hospitalité à un groupe d’Italiens égarés dans la montagne. En voix off, la comédienne Françoise Lebrun retrace l’historique de cette voix d’accès qu’emprunta en sens inverse Hannibal et ses trente-sept éléphants.
L’image, signée de la réalisatrice elle-même, est particulièrement soignée, qui montre la beauté intacte des Hautes-Alpes où exploitation agricole et élevage ont laissé la place au ski, à la varappe et à la randonnée.
Lectrice du géographe anar Élisée Reclus, la cinéaste a "envisagé la montagne par strates temporelles", et utilisé pour ce faire les matériaux à disposition, y compris des films de vacanciers pris en super 8, des archives de la Cinémathèque de Gap et des extraits du film de Pietro Germi, Il cammino della speranza (1950) dont le finale se situe au col du Montgenèvre.
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
Ceux de la nuit. Réal, ph, mont, son : Sarah Leonor ; sc : S.L., Aristide Mourrat & Thomas Wolfe. Avec les voix de Françoise Lebrun, Olivier Rabourdin, Adrien Michaux, Hovnatan Avédikian, Solène Rigot, Damien Bonnard (France, 2022, 70 mn). Documentaire.