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Blier, Bertrand (né en 1939) (e)
Entretien avec René Prédal
publié le mercredi 26 avril 2023

Rencontre avec Bertrand Blier (2003)

"Filmer des scènes injouables et intournables"
Jeune Cinéma n°281, avril 2003


 


En février 2003, la Cinémathèque de Nice rendait hommage à Bertrand Blier sous le titre"Le franc-tireur de l’insolence" donné par Jean-Jacques Bernard (1).
Pour la première fois, une rétrospective permettait d’apprécier dans son ensemble une filmographie urticante de 16 longs métrages représentant 40 ans de cinéma. Non seulement cette trentaine d’heures, à la fois drôles et pathétiques, affirme sa cohérence par un ton singulier à la pudeur provocante. Mais le temps a donné à chaque film une force d’évidence étouffant l’odeur de scandale pour dégager l’incongruité subversive et l’humour ravageur d’une œuvre de moraliste au pessimisme paradoxalement tonique.


 

Pour sa "leçon de cinéma", le cinéaste a choisi de commenter la première séquence de Buffet froid (1979) : Alphonse (Gérard Depardieu) rencontre à la station déserte du métro Défense un quidam (Michel Serrault) auquel il essaie de parler, mais la rame arrive et l’homme part. Quelques instants plus tard Alphonse retrouve l’inconnu dans un couloir, son propre couteau planté dans le ventre.
La scène avait d’abord été enregistrée avec un bon acteur, Jacques Rispal, mais elle ne fonctionnait absolument pas. De fait un tel dialogue ne pouvait passer que prononcé par un "monstre de talent" à la Louis Jouvet, car Bertrand Blier a besoin d’acteurs capables de le suivre dans la folie d’une scène "de malade" destinée à "faire rigoler et à mettre mal à l’aise". Un seul comédien était possible dans ce registre, Michel Serrault, qui vint donc en guest star, non crédité au générique, jouer en deux soirées à l’extrême fin du tournage.
Du coup, Gérard Depardieu devient lui aussi génial à son contact et la scène impose sa tonalité onirique. Dans un décor vide et froid, déshumanisé, baigné d’une lumière lugubre, l’inquiétude sourd de l’insécurité. Les choses sont en place : un assassin potentiel, un couteau et une victime possible, il ne reste plus qu’à filmer l’inéluctable. Certes, il y a une ellipse sur l’exécution proprement dite du meurtre, et le spectateur très attentif peut entr’apercevoir une demi-seconde une ombre qui se cache derrière un pilier. Mais la logique du film s’impose : Alphonse est bel et bien le tueur, même s’il a agi dans son cauchemar. L’absurde l’emporte, un peu comme chez Georges Lautner, dont Bertrand Blier a été l’assistant puis le scénariste pour Laisse aller... c’est une valse (1971). Mais ce début de Buffet froid est sinistre, alors que l’ironie baignait Le Monocle noir (1961) ou Les Tontons flingueurs (1963).


 

En fait, Gérard Depardieu arrive déjà chargé de sa mauvaise réputation des Valseuses (1974) et va loger dans une grande tour inhabitée où le rejoindra bientôt un flic (Bernard Blier) qui emménage à côté... au cas où. Comment dès lors échapper au destin ? Le film va ensuite enchaîner brillamment des situations théâtrales enregistrées à deux caméras : champ / contre-champ pour les dialogues et plan d’ensemble / plan serré pour l’action. Mais Bertrand Blier a refusé les nombreuses propositions d’adapter Buffet froid à la scène, car il l’a écrit pour le cinéma où cette banalisation du meurtre gratuit et sans panache a choqué : si la critique a été bonne, la production avait été difficile (elle n’aurait sans doute pas pu se concrétiser sans l’Oscar américain obtenu pour le film précédent, Préparez vos mouchoirs (1978), et le public a trouvé le ton inconvenant.
Pourtant il s’agit d’une comédie noire à ne pas prendre au sérieux : c’est "pour se marrer". L’auteur a écrit cette scène sans avoir la moindre idée de la suite du scénario. Comme à son habitude, qu’il s’agisse de film, de roman ou de théâtre, Bertrand Blier démarre en imaginant une situation forte. Satisfait du résultat, il écrit une seconde scène, puis une troisième et tout le reste suit. Ainsi, le principe est d’écrire une histoire qu’il ne connaît pas : il campe deux ou trois personnages qui dégagent un thème... et si le départ est bon, il suffit de le traiter ensuite comme un compositeur pour un concerto. Son film est une enquête, dont lui-même ne trouvera le dénouement qu’à la fin.

R.P.


Jeune Cinéma : En 1989, au moment de la sortie de Trop belle pour toi, vous déclariez : "Je peux dégager trois directions principales à l’intérieur de ma carrière. La direction de base, c’est celle de la truculence, du récit picaresque : le côté Valseuses (1974), Tenue de soirée (1986). La seconde, c’est une veine un peu fantastique : celle de Buffet froid (1979) et certains aspects de Notre histoire (1984). La troisième est une veine sentimentale à laquelle appartiennent Préparez vos mouchoirs (1978), et Beau-père (1981)" (2). Même si l’on considère que les films les plus riches transcendent forcément ces catégories, la distinction tient-elle encore pour les films de la décennie 90, ou les trois interprétés par Anouk Grinberg, Merci la vie (1991), Un, deux, trois soleil (1993) et Mon homme (1995) forment-ils un quatrième groupe ?

Bertrand Blier : En fait, ça s’est compliqué ces dernières années et c’est presque une nouvelle carrière. À partir de Trop belle pour toi, les récits sont très déstructurés et c’est sans doute ça la nouvelle tendance : renoncer aux narrations linéaires et essayer de tout mélanger.


 

J.C. : Cela avait quand même déjà commencé avec Notre histoire, sorte de film en train de se faire.

B.B. : Oui mais Notre histoire était plutôt un brouillon de film. Nous n’avons pas eu assez de temps pour travailler et je l’aurais volontiers réécrit. Par contre, tous ceux venant après Trop belle pour toi ont été écrits très précisément et tournés exactement comme je les avais prévus. Ainsi Merci la vie est un film dont j’ai respecté scrupuleusement le scénario : la construction éclatée et les temporalités emboîtées étaient déjà prévues au stade de l’écriture. Les séquences ont été montées exactement dans l’ordre du découpage.
En revanche, Trop belle pour toi a été recomposé au montage. On a inversé des scènes, ce qui était possible car l’histoire d’amour était très simple et l’on pouvait jouer avec l’ordre des flash back et flash forward. Depuis une douzaine d’années, j’ai l’impression d’avoir pu densifier et développer de manière très personnelle des thèmes libérés de la structure classique des premiers films.


 

J.C. : Peut-on considérer que vous vous préoccupez davantage des possibilités offertes par le langage cinématographique qui vous permettent de raconter les histoires autrement et d’enregistrer de façon plus complexe les choses abordées depuis Les Valseuses ?

B.B. : C’est venu de Trop belle pour toi. En fait, après Tenue de soirée, j’ai eu l’impression d’avoir terminé ma carrière : des Valseuses à Tenue de soirée, cela faisait un beau parcours avec un début et une fin, et j’ai été sincèrement tenté d’arrêter là. Mais on ne s’arrête pas quand on a du succès. Or Tenue de soirée avait très bien marché. Alors je me suis lancé au contraire dans un énorme projet, LŒil du cheval, que j’ai mené très loin, mais que j’ai dû abandonner juste ment parce qu’il était titanesque, obsessionnel, avec de gros problèmes budgétaires et de casting. C’est à ce moment que, par réaction, j’ai pensé à quelque chose de plus basique à partir de Josiane Balasko, Carole Bouquet et Gérard Depardieu au milieu. J’ai donc téléphoné aux trois successivement et, comme ça les intéressait, j’ai laissé L’Œil du cheval pour faire celui-ci en urgence. De fait l’écriture a été facile, le début du tournage agréable et ce n’est qu’après que tout s’est compliqué.


 

J.C. : N’est-ce pas aussi de cette époque que date le travail d’écriture avec Claude Miller pour Le Charme des gares ?

B.B. : Oui, cela a été une occupation annexe. J’avais envie de me reposer un peu et, travailler comme scénariste m’intéressait. Finalement Claude Miller n’a pas pu le tourner pour de sombres raisons de production. C’est donc un scénario dont on ne peut plus rien faire, car je l’avais écrit spécifiquement pour lui comme metteur en scène, et le texte ne pouvait convenir qu’à lui. Mais ça n’a été pour moi qu’un investissement de trois ou quatre mois.

J.C. : Cela prouve en tout cas que vous étiez en train de vous poser des questions sur le cours à donner à votre carrière.

B.B. : Exactement. Vous savez, quand on fait du cinéma, il y a forcément des moments où l’on a envie de s’arrêter. Pas longtemps, mais prendre par exemple une année sabbatique... Seulement moi, ce que j’appelle repos ou année sabbatique, c’est écrire sans la pression d’un film personnel, lourd à produire et à tourner. Donc un livre ou une pièce, surtout le plaisir de changer de discipline. Il est vrai que je ne suis pas obsédé par le cinéma. Ainsi, si j’étais forcé de m’arrêter demain, cela ne me poserait absolument aucun problème, car je suis content de ce que j’ai fait et cela peut être suffisant. Bien sûr je vais certainement faire encore d’autres films, mais c’est l’occasion qui me sollicitera. Indiscutablement, Trop belle pour toi m’a fait prendre conscience que je pouvais filmer autre chose et autrement. En fait le scénario non abouti de L’Œil du cheval m’a servi toute la décennie suivante comme d’un réservoir dans lequel j’ai puisé, notamment pour Merci la vie qui est aussi un film assez titanesque.


 

J.C. : Merci la vie s’articule autour de deux gros sujets, d’un côté l’histoire avec la Seconde Guerre mondiale et le nazisme, de l’autre le présent du sida, alors que d’ordinaire vos films semblaient davantage bâtis sur des personnages et des situations.

B.B. : C’est une sorte de symphonie. Il y a là-dedans comme des extraits de tous mes films qui s’entrechoquent et font implosion. C’est peut-être mon film préféré parce qu’il avait un aspect infaisable... et que je suis donc content d’avoir réussi à le faire. C’était le moment : avant ou après, je n’aurais sans doute pas pu le mener à bien. C’est ça le cinéma : un peu un métier de bandit, il faut ruser, après un succès foncer sur un truc dangereux. Voilà. Du coup ça a été un demi-échec - ou seulement une demi-réussite - mais c’est fait.

J.C. : Vous êtes un cinéaste atypique, auteur de trois romans (3) et d’une pièce, Les Côtelettes (1997) qui a été jouée deux ans et que vous venez de filmer. Comment articulez-vous votre création, littérature et cinéma ?

B.B. : Le problème est que, très jeune, j’ai choisi le métier de faire des films. Ce fut une première vocation, je me suis préparé par l’assistanat et je suis donc parvenu à faire de la mise en scène. Mais je me suis alors aperçu que j’aimais écrire - ce que je ne savais pas -, et surtout que j’en étais capable. Il se trouve en effet que j’ai publié un roman, Les Valseuses, au moment où j’étais inactif et cela a bouleversé ma vie. Je pouvais donc faire autre chose que des films et c’était extrêmement agréable : liberté totale d’inspiration, aucun contrôle et finalement un contact avec les gens aussi enrichissant qu’avec le cinéma. Car avoir des lecteurs, c’est formidable aussi. J’ai donc continué le cinéma, puisque j’ai été programmé pour réaliser des films et j’aime ça, mais en gardant toujours dans un coin de ma tête que, quand j’aurai cinq minutes, j’écrirai un livre. C’est ce que j’ai fait. Quant à la pièce, écrite très vite et jouée 24 mois, à Paris d’abord, puis après en tournée, c’est magique : ça mêle littérature et spectacle. Ces bonnes surprises me procurent en outre un certain recul. On n’a plus le même rapport au cinéma quand on sait qu’on peut écrire une pièce ou un roman. C’est une chance.


 

J.C. : Le plaisir des mots existait déjà dès les années 70-80. On s’aperçoit d’ailleurs, en tant que critique de cinéma, qu’ils sont si prégnants chez vous qu’on ne peut rendre correctement compte de vos films qu’en écrivant l’article comme vos personnages parlent : le sens passe par le ton décalé de vos dialogues et leur inscription très raide dans l’image. S’il y a agression, marginalité, elle est là, au cœur de l’expression, dans le mot et la manière de le dire à l’intérieur d’un espace qui n’est pas celui de la scène mais appartient spécifiquement à l’écran.

B.B. : Il est vrai que quand j’ai écrit le scénario et les dialogues, j’ai fait la moitié du boulot et comme je suis l’auteur de l’histoire, je sais la mettre en scène avec naturel. Auparavant, il y a d’ailleurs la phase décisive du bon choix des acteurs. Mes films les moins réussis sont ceux où des problèmes de contrat ou de dates ont fait que je n’avais pas les acteurs que je voulais. Quand j’ai écrit pour Gérard Depardieu et que c’est lui qui joue, on fait une prise ou deux et ça y est. Alain Delon aussi : Notre histoire était écrit pour lui. Le film est un portrait, un croquis sur le vif. La Femme de mon pote avait également été conçu pour Coluche. Mais il devait l’interpréter avec Patrick Dewaere, qui s’est suicidé pendant que j’écrivais le scénario. Alors Thierry Lhermitte a été très bien... mais il remplaçait Patrick... C’est comme ça, et on ne peut pas le lui reprocher. Parce que ce qui est merveilleux, c’est de fabriquer des tandems, des couples... et même des orchestres entiers comme avec Les Acteurs. Mais là, c’est le public qui n’a pas voulu entrer dans le jeu, dans cette série de blagues et de plaisanteries auxquelles les comédiens ont participé de gaieté de cœur. J’avais écrit avec le téléphone à côté de moi et dès que j’avais fait une scène pour un acteur, je l’appelais. Chaque fois, je lui donnais les noms de ceux qui avaient déjà accepté avant lui, et comme ça j’ai eu finalement tout le monde par effet de boule de neige. L’ennui, c’est qu’il devait y en avoir d’autres, mais que le budget a subi des coupes drastiques qui m’ont obligé à réduire mes ambitions, et ce sont surtout aux plus jeunes que j’ai dû renoncer en cours d’écriture. Mais le scénario a été exactement tourné. Le montage n’a servi qu’à coller les séquences dans l’ordre - ou plutôt le désordre - initial du découpage jusqu’à mon intervention finale en hommage à mon père faite avec Claude Brasseur, comme moi fils d’acteur très connu.

J.C. : Votre cinéma d’auteur est en tout cas fort différent de celui qui a rendu Bernard Blier populaire.

B.B. : Oui, mais je suis devenu cinéaste après la Nouvelle Vague, tandis que lui a effectué l’essentiel de sa carrière avant. Quand je débute, le cinéma a radicalement changé, et j’ai évolué en fonction du cinéma, commençant comme assistant de Georges Lautner à une époque où il était en train de se chercher : j’ai vu devant moi un metteur en scène trouver son style pendant le tournage du premier Monocle. C’était fabuleux.


 

J.C. : N’avez-vous pas réalisé plusieurs de vos films en vous positionnant contre un certain type de cinéma ? Par exemple vous tournez Les Valseuses en 1973 et on ne peut pas s’empêcher d’y voir votre réaction humoristico-vacharde autant à l’apogée du cinéma militant, qu’à l’arrivée de la vague porno comme du politiquement correct, socialo-engagé, de films type Lo Pais, Il pleut toujours où c’est mouillé ou La Coupe à dix francs. (4).

B.B. : Ce n’est sans doute pas ciblé si précisément que ça, mais c’était en effet forcément un reflet de l’époque. C’est un livre puis un film écrit pour les personnages, mais contre la société, l’aspect bourgeois des années prétendument glorieuses de Pompidou. Or le cinéma populaire français ressemblait alors beaucoup à cette idéologie. C’est pour ça que j’ai voulu ruer dans les brancards mais le cheminement créatif qui m’a amené aux Valseuses est complexe.

J.C. : Surtout que le film arrive après sept ans de silence cinématographique.

B.B. : Oui, sept ans de maturation, de travail, de lectures... D’ailleurs, depuis ce film, j’adopte toujours ce type de position : mes personnages ont toujours cette agressivité - voyez Tenue de soirée  -, ils s’engueulent, sont mécontents, presque toujours du mauvais côté de la rue. Pas forcément des voyous, mais des gens qui s’arrangent pour que ça aille mal. N’oublions pas néanmoins qu’à part Beau-père qui est un film sérieux, et Trop belle pour toi qui n’a rien de comique, les autres sont en gros des comédies. Or le ressort principal de la comédie consiste à faire rire du malheur des personnages, et c’est encore plus amusant quand ce sont les protagonistes qui créent eux-mêmes leur propre malheur, parce qu’ils n’ont rien compris à ce qui leur arrive, à la vie, aux femmes... Alors ils font connerie sur connerie et ça donne un film. Déjà Charles Chaplin ou Buster Keaton faisaient ça, mais en muet...


 

J.C. : La misogynie des héros masculins de vos premiers films vient donc de cette incompréhension ?

B.B. : Oui, c’était une époque où les féministes étaient fort virulentes et moi, faisant des films avec des mecs qui revendiquaient très haut leur masculinité, j’ai été forcément très attaqué. De toutes manières si ça n’avait pas été sur ce point, cela aurait été sur d’autres aspects. Plus on fait des choses très personnelles, plus on est attaqué, plus on a des gens contre et des gens pour...

J.C. : Quand on considère le ton de l’œuvre à venir, on peut être étonné de vous voir commencer par un film de "cinéma vérité", Hitler, connais pas(1963). Mais on remarquera que, par rapport aux Jean Rouch, Chris Marker, Mario Ruspoli, François Reichenbach ou Jean Herman qui, à la même époque, traquent le réel dans la rue, vous, vous amenez vos blousons noirs dans un studio pour les filmer sur un plateau de cinéma.

B.B. : Oui, parce qu’ils étaient vrais, mais rejouaient leur histoire devant la caméra. Ça a constitué pour moi une expérience passionnante. C’est de là que tous mes autres films ont découlé. Je suis sorti de ma bourgeoisie de fils à papa, et j’ai pu rencontrer un autre monde que je ne connaissais pas. Ça m’a marqué à vie et j’ai continué à piocher mon inspiration dans cet univers, à me servir des émotions ressenties à cet âge-là - j’avais 22 ans - où l’on est une véritable plaque sensible. Par exemple le personnage de Miou-Miou dans Les Valseuses est totalement calqué sur une fille que j’avais dans Hitler connais pas.

J.C : Vos deux premiers essais prospectent les deux extrêmes du cinéma : après le "direct", Si j’étais un espion (1967) est un policier, donc un film de genre.

B.B. : À cette époque, il était d’usage qu’un jeune metteur en scène fasse un policier : Costa-Gavras, Louis Malle, Alain Corneau l’ont fait... tout le monde, et c’était bien. Mais moi, j’ai pris le genre du plus mauvais côté, parce que les films d’espionnage sérieux, ça n’a jamais marché. Même Henri-Georges Clouzot et Martin Ritt se sont plantés. Ça m’a néanmoins permis de réaliser ma première fiction et de diriger des acteurs. Ceci dit, j’ai beaucoup réfléchi avant de tourner à nouveau et j’ai d’abord écrit un roman, Les Valseuses.


 

J.C. : Qui donnera votre premier "film d’auteur". L’idée de base était-elle d’écrire un livre ? Certaines notices biographiques indiquent que ce fut d’abord un scénario refusé partout, puis que tous les producteurs se le sont disputés après que vous en avez fait un succès de librairie.

B.B. : Non, c’est une légende. Un jour je me suis mis devant une machine à écrire et j’ai tapé directement les vingt premières pages des Valseuses, comme ça, dans la foulée. J’ai laissé reposer, puis, le lendemain, j’ai relu ; c’était valable et j’ai donc continué un petit peu, comme lorsque j’ai écrit ma première pièce. Je suis parti d’une réplique que j’avais notée sur une feuille de papier quand elle m’était venue et que j’ai retrouvée. J’ai commencé à développer et quinze jours après, j’avais une pièce. Ceci dit, il faut reconnaître que je n’ai jamais écrit un livre sans penser que ça pourrait un jour devenir un film. Ça a donc été le cas pour les deux premiers, et si je n’ai pas tourné le troisième, c’est parce qu’il est trop hard, mais j’aurais bien voulu. Par ailleurs, je dois dire que mon écriture romanesque est directement influencée par mes nombreuses lectures de la littérature américaine contemporaine. Or vous savez que la majorité a été très marquée par le cinéma hollywoodien. Alors si on a bien digéré ça, on peut arriver à faire du roman sans explications psychologiques : la psychologie est dans les dialogues et la transposition cinématographique est par conséquent aisée.

J.C. : Que pensez-vous de l’image de provocateur qu’on vous colle souvent ?

B.B. : Rien. Je m’étonne seulement qu’il n’y ait pas davantage de metteurs en scène provocateurs car on devrait être là pour ça, pour faire bouger les choses. D’ailleurs, fort heureusement, je ne suis pas tout seul. Il y en a d’autres qui ont sévi : Luis Buñuel ou Jean-Luc Godard par exemple, Gaspar Noé ou Pedro Almodovar que j’adore et avec lequel je partage un rapport analogue au cinéma.

J.C. : Vous travaillez sur les clichés d’un certain cinéma populaire, vous torturez les codes du mélodrame...

B.B. : En effet, je crois que le cinéma est par essence fait pour travailler sur des clichés. Car, s’adressant au plus grand nombre, on essaie de raconter des choses universelles. On est donc tous à peu près sur les mêmes trucs. Mais c’est intéressant, car le cliché, on doit arriver à le retourner et à en faire une véritable grenade. C’est vrai aussi dans les autres arts : voyez ce que Francis Bacon fait de l’art du portrait. La littérature moderne s’est livrée quant à elle à l’assassinat systématique de la psychologie avec Samuel Beckett ou L.F. Céline.

J.C. : Le paradoxe étant que chez ces auteurs, comme chez vous, si l’on veut expliquer le comportement des personnages, on va découvrir que leurs motivations psychologiques sont aussi subtiles que celles des héros de Alain Resnais ou de Jacques Doillon.

B.B. : Bien sûr, on peut fouiller, approfondir, sans pour autant afficher l’analyse psychologique comme dans les romans du 19e siècle. Le cinéma est une chose très étrange. On ne sait pas exactement ce que c’est. Moi j’en fais, mais je ne sais pas : c’est un spectacle basé sur des gens qui ne sont pas là, des fantômes, avec des gros plans qui font deux mètres de haut. Bizarre, bizarre, drôle de drame.

Propos recueillis par René Prédal
Nice, février 2003
Jeune Cinéma n°281, avril 2003

1. Jean-Jacques Bernard (1950-2015), journaliste.

2. Cahiers du Cinéma, n° 419-420, mai 1989.

3. Les Valseuses, Paris, Robert Laffont, 1972 ; Beau-père, Paris, Robert Laffont, 1981 ; Existe en blanc, Paris, Robert Laffont, 1998.

4. Lo Pais de Gérard Guérin (1973) ; Il pleut toujours où c’est mouillé de Jean-Daniel Simon (1975) ; La Coupe à dix francs de Philippe Condroyer (1974).



* Hitler, connais pas. Réal : Bertrand Blier ; ph : Jean-Louis Picavet ; mont : Michel David ; mu : Georges Delerue (France, 1963 100 mn).

* Les Valseuses. Réal : Bertrand Blier ; sc : B.B. & Philippe Dumarçay, d’après le roman du même nom de Bertrand Blier ; ph : Bruno Nuytten ; mont : Kenout Peltier ; mu : Stéphane Grappelli ; déc : Jean-Jacques Caziot & Françoise Hardy ; cost : Michèle Cerf. Int : Gérard Depardieu, Patrick Dewaere, Miou-Miou, Jeanne Moreau, Brigitte Fossey, Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte, Sylvie Joly, Isabelle Huppert, Jacques Rispal, Bruno Boëglin (France, 1974, 117 mn).

* Calmos.  : Réal : Bertrand Blier ; sc : B.B. & Philippe Dumarçay ; ph : Claude Renoir ; mont : Claudine Merlin ; mu : Georges Delerue ; déc : Jean André ; cost : Michèle Cerf. Int : Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Bernard Blier, Brigitte Fossey, Claude Piéplu, Gérard Jugnot, Sylvie Joly, Dominique Lavanant, Claudine Beccarie, Pierre Bertin, Dora Doll, Valérie Mairesse, Marthe Villalonga, Muni, Liliane Rovère, Nicole Garcia, Maïté Nahyr, Jacques Denis, Jacques Rispal, Françoise Bertin (France, 1976, 100 mn).

* Préparez vos mouchoirs. Réal, sc, dial : Bertrand Blier ; ph : Jean Penzer ; mont : Claudine Merlin ; mu : Georges Delerue. Int : Gérard Depardieu, Carole Laure, Patrick Dewaere, Michel Serrault, Éléonore Hirt, Jean Rougerie, Sylvie Joly, Liliane Rovère, André Thorent (France, 1977, 108 mn).

* Buffet froid. Réal, sc : Bertrand Blier ; ph : Jean Penzer ; mont : Claudine Merlin ; mu : Philippe Sarde ; déc : Théobald Meurisse. Int : Gérard Depardieu, Bernard Blier, Jean Carmet, Michel Serrault, Jean Rougerie, Geneviève Page, Carole Bouquet, Jean Benguigui, Liliane Rovère, Denise Gence, Roger Riffard (France, 1979, 89 mn).

* Beau-père. Réal, sc : Bertrand Blier, d’après son roman de même titre (1980) ; ph : Sacha Vierny ; mont : Claudine Merlin ; mu : Philippe Sarde ; déc : Théobald Meurisse ; cost : Michèle Cerf. Int : Patrick Dewaere, Ariel Besse, Nicole Garcia, Maurice Ronet, Geneviève Mnich, Maurice Risch, Nathalie Baye, Macha Méril, Yves Gasc, Jacques Rispal, Maurice Biraud, Michel Berto, Stéphane Freiss (France, 1981, 120 mn).

* La Femme de mon pote. Réal : Bertrand Blier ; sc : B.B. & Gérard Brach ; ph : Jean Penzer ; mont : Claudine Merlin ; mu : J.J. Cale ; déc : Théobald Meurisse ; cost : Michèle Cerf. Int : Coluche, Isabelle Huppert, Thierry Lhermitte, François Perrot, Daniel Colas, Farid Chopel (France, 1983, 99 mn).

* Notre histoire. Réal, sc : Bertrand Blier ; ph : Jean Penzer ; mont : Claudine Merlin ; mu : Laurent Rossi ; déc : Bernard Evein ; cost : Michèle Cerf, Andrée Demarez, Irénée Martin & Marie-Françoise Perochon. Int : Alain Delon, Nathalie Baye, Marie-Thérèse Chatelard, Michel Galabru, Gérard Darmon, Geneviève Fontanel, Jean-Pierre Darroussin, Jean-François Stévenin, Sabine Haudepin, Ginette Garcin, Vincent Lindon, Bernard Farcy, Jean-Louis Foulquier, Philippe Laudenbach, Paul Guers, Jean-Claude Dreyfus, Jean Reno, Jacques Denis (France, 1984, 110 mn).

* Tenue de soirée. Réal, sc : Bertrand Blier ; ph : Jean Penzer ; mont : Claudine Merlin ; mu : Serge Gainsbourg ; déc : Théobald Meurisse ; cost : Michèle Cerf. Int : Michel Blanc, Gérard Depardieu, Miou-Miou, Michel Creton, Jean-Pierre Marielle, Bruno Cremer, Caroline Sihol, Mylène Demongeot, Jean-François Stévenin, Dominique Besnehard (France, 1986, 84 mn).

* Trop belle pour toi. Réal, sc : Bertrand Blier ; ph : Philippe Rousselot ; mont : Claudine Merlin ; déc : Théobald Meurisse ; cost : Michèle Cerf. Int : Gérard Depardieu, Josiane Balasko, Carole Bouquet, Roland Blanche, Myriam Boyer, François Cluzet, Denise Chalem, Jean-Paul Farré, Stéphane Auberghen, Jean-Louis Cordina (France, 1989, 91 mn).

* Merci la vie. Réal, sc : Bertrand Blier ; ph : Philippe Rousselot ; mont : Claudine Merlin ; mu : Arno et Philip Glass ; déc : Théobald Meurisse ; cost : Jacqueline Bouchard & Lolita Lempicka. Int : Charlotte Gainsbourg, Anouk Grinberg, Michel Blanc, Jean Carmet, Annie Girardot, Catherine Jacob, Jean-Louis Trintignant, Gérard Depardieu, Thierry Frémont, François Perrot, Jacques Seiler, Michel Berto, Jacques Boudet, Philippe Clévenot, Anouk Ferjac, Yves Rénier, Brigitte Auber (France, 1991, 117 mn).

* Un, deux, trois, soleil. Réal, sc : Bertrand Blier ; ph : Gérard de Battista ; mont : Claudine Merlin ; mu : Cheb Khaled et Anton Bruckner ; déc : Théobald Meurisse, Jean-Jacques Caziot, Georges Glon ; cost : Jacqueline Bouchard. Int : Anouk Grinberg, Myriam Boyer, Olivier Martinez, Jean-Michel Noirey, Denise Chalem, Jean-Pierre Marielle, Claude Brasseur, Patrick Bouchitey, Éva Darlan, Marcello Mastroianni (France, 1993, 104 mn).

* Mon homme. Réal, sc : Bertrand Blier ; ph : Pierre Lhomme ; mont : Claudine Merlin ; cost : Christian Gasc. Int : Anouk Grinberg, Gérard Lanvin, Valeria Bruni Tedeschi, Olivier Martinez, Jean-Philippe Ecoffey, Dominique Valadié, Mathieu Kassovitz, Michel Galabru, Robert Hirsch, Bernard Fresson, Jacques Gamblin, Jean-Pierre Darroussin, Bernard Le Coq, Frédéric Pierrot, Sabine Azéma, Jean-Pierre Léaud (France, 1995, 99 mn).

* Les Acteurs. Réal, sc : Bertrand Blier ; ph : François Catonné ; mont : Claudine Merlin ; mu : Martial Solal ; cost : Jacqueline Bouchard. Int : Pierre Arditi, Josiane Balasko, Jean-Paul Belmondo, François Berléand, François Nègre, Dominique Blanc, Claude Brasseur, Jean-Claude Brialy, Alain Delon, Gérard Depardieu, André Dussollier, Jacques François, Sami Frey, Michel Galabru, Christophe Guybet, Michael Lonsdale, Jean-Pierre Marielle, Michel Piccoli, Claude Rich, Maria Schneider, Michel Serrault, Jacques Villeret, Jean Yanne, Bertrand Blier, Jean-Quentin Châtelain, Albert Dupontel, Ticky Holgado, François Morel, Patachou, Serge Riaboukine, Jean Topart, Michel Vuillermoz, Claire Wauthion (France, 2000, 103 mn).



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