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En haut des marches (1983)
de Paul Vecchiali
publié le mercredi 22 novembre 2023

par René Prédal
Jeune Cinéma n°155, décembre 1983

Sélection officielle Perspectives du Festival de Cannes 1983

Sorties les mercredis 12 octobre 1983, 8 juillet 2015 et 22 novembre 2023


 


Danielle Darrieux, incarnant une femme d’une cinquantaine d’années, revient à Toulon au début des années 60 pour abattre ceux qui ont provoqué la mort de son mari à la Libération. Mais elle ne se vengera finalement qu’en imagination et sera elle-même brisée par la douleur des réminiscences.


 


 

Le cinéma français des années 30 étant aujourd’hui à la mode (deux ouvrages sur le sujet sont publiés à quelques semaines de En haut des marches, la dernière œuvre de Paul Vecchiali sera certainement mieux comprise par la critique que ses réalisations précédentes, d’autant plus que le retour du romanesque dans le cinéma de la fin des années 70 - Claude Sautet, Bertrand Tavernier, Claude Miller, Bertrand Blier... - conduit également le cinéphile à moins faire la fine bouche devant les films dont le premier but avoué est de raconter une "bonne" histoire avec des personnages attachants. Or il est indiscutable que Paul Vecchiali tient à inscrire son œuvre dans ce courant populaire d’un cinéma spectacle qui croit aux vertus de la communication avec un large public.


 


 

Pourtant, la carrière commerciale de En haut des marches risque fort de ressembler davantage à celle de Une chambre en ville qu’à celle de L’As des as (1). Et cela pour des raisons très proches qui se résument au refus du sexe, de la violence ou du gros comique, devenus depuis dix ans les seuls ingrédients pouvant permettre de rentabiliser un film extérieur à la catégorie des super-productions de style américain.
Il est vrai que, si l’anecdote est première, Paul Vecchiali tient également beaucoup à l’expression de sa propre subjectivité (la dédicace émue à sa mère ouvre le film), et à l’emploi d’un langage extrêmement élaboré s’articulant à partir d’une construction complexe seule susceptible de rendre compte de la richesse du scénario : présent, passé et imaginaire s’interpénètrent sans cesse autour d’un personnage pivot auquel tout aboutit et qui cristallise à lui seul les différents niveaux de la fiction.


 


 

Dès lors, le récit paraît tout à tour éparpillé et foisonnant (diverses séquences aux statuts contradictoires) puis brusquement sec et excessivement conceptualisé (Collaboration / Résistance, oubli / vengeance, rigueur morale / laxisme de la vie, individualisme / engagement...) parce que le pari du film était justement de ne pas choisir entre les diverses organisations possibles du matériau humain. S’amusant à épingler au passage les codes les plus éculés du mélodrame muet (la mère aveugle, les adolescentes en coiffes blanches déambulant dans la prison) pour embrayer immédiatement sur des séquences dignes de André Cayatte (les rapports de l’héroïne avec sa filleule avocate), Paul Vecchiali fait reposer le poids de l’édifice filmique sur le personnage vedette incarné par Danielle Darrieux, à la fois femme-ville (Toulon), femme-mère (celle de l’auteur) et surtout femme-femme (amoureuse au-delà de la mort).


 


 

C’est un roc au début, inébranlable, résolu, extérieur et supérieur, qui va peu à peu s’effriter aux contacts des gens et des choses (sa sœur, sa maison), c’est-à-dire des souvenirs vivants. Dès lors, ce qui pouvait apparaître au début comme un patchwork aux associations aléatoires se change progressivement en puzzle rigoureux dont chaque pièce s’imbrique précisément dans une architecture au baroque fermement maîtrisé.


 


 

Si ce film clair consacré à la confusion n’est pas entièrement satisfaisant, c’est que Paul Vecchiali a parfois été victime de son admiration pour Danielle Darrieux qu’il a élevée sur un piedestal en creusant le désert autour d’elle. Dès lors, elle ne trouve plus personne pour lui donner vraiment la réplique et ses rencontres avec les autres se bornent à des combats d’idées. C’est d’abord le discours du vieux nantais sur le port, avec Michel Delahaye, puis celui de l’avocate dans la prison de carton pâte avec Françoise Lebrun, et enfin l’affrontement longtemps différé avec sa sœur sur un banc de bois, avec Hélène Surgère. Les autres (Rose, la femme de service, une jeune femme sur la plage, le commissaire ou le propriétaire de la galerie) ne sont que des comparses destinés à apporter un certain nombre de renseignements dramatiques ou psychologiques.
Sans doute est-il difficile d’obtenir l’adhésion du spectateur face à une héroïne qui bâtit sa vie sur une série de refus (du pardon, de l’oubli, de l’amour de ses enfants par peur qu’ils ne lui rendent pas...) : les écorchés vifs font le vide et le film se construit ainsi à partir de renoncements, d’évacuations, de manques. Rentrer vraiment dans le film ne se ferait pas sans souffrance, d’où la tentation de rester à l’extérieur, d’autant plus forte que Paul Vecchiali ne force guère la main. Il casse l’émotion en soulignant les références cinéphiliques, met la distance de ses contre-plongées appuyées entre l’interprète et son personnage et, surtout, fait de Toulon un inquiétant désert d’où ne surgissent que des ombres.


 


 

La chaleur du scénario se fige dans le hiératisme pudique d’une mise en scène appliquée, porteuse de sens plus que de sensations, comme si le cinéaste avait voulu mettre un peu de glace sur tout ce feu pour créer une œuvre inconfortable, qui résiste même à son propre regard. On sait que le cinéma français dispose rarement des moyens nécessaires à un filmage au premier degré. Ici encore, l’anecdote est réfléchie par tout un dispositif qui fait de pauvreté vertu en déplaçant l’objet de la narration du sujet au récit lui-même, de l’événement à sa morale. La gêne qu’installe alors un tel glissement constitue une part non négligeable du charme acide que dégage - presque malgré lui ? - ce faux mélo rétro. Décidément, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était.

René Prédal
Jeune Cinéma n°155, décembre 1983

1. Une chambre en ville de Jacques Demy (1982), 21 286 entrées la 1ère semaine à Paris. L’As des as de Gérard Oury (1982), 463 028 entrées la 1ère semaine à Paris, un record à l’époque.


En haut des marches. Réal : Paul Vecchiali ; sc : P.V., Michel Delahaye, Cécile Clairval & Françoise Lebrun ; ph : Georges Strouvé ; mont : P.V., Franck Mathieu & Charles Tible ; mu : Roland Vincent ; déc : Bénédict Beaugé ; cost : Nathalie Cercuel. Int : Danielle Darrieux, Hélène Surgère, Françoise Lebrun, Micheline Presle, Nicolas Silberg, Sonia Saviange, Denise Farchy, Max Naldini, Gisèle Pascal, Michel Delahaye, Myriam Mézières, Jean-Claude Guiguet, Bénédict Beaugé, Jean-Christophe Bouvet, Paulette Bouvet, Christian Cloarec, Danielle Gain, Christine Laurent, Eva Simonet, Michel Raskine (France, 1983, 92 mn).



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