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Rosa la rose, fille publique (1986)
de Paul Vecchiali
publié le mercredi 22 novembre 2023

par Alain Caron
Jeune Cinéma n°174, mai 1986

Sorties les mercredis 2 mars 1986, juillet 2015 et 22 novembre 2023


 


Paul Vecchiali peut susciter chez le spectateur un sentiment d’irritation. Son parti pris de style, son penchant pour le mélodrame "distancié", ses références au cinéma des années 30, tout cela peut rebrousser le poil de certains, on le conçoit fort bien.
Mais lorsque l’on veut bien mettre de côté ses réticences, on constate que ce réalisateur apporte au cinéma français, un œil, une sensibilité qui commencent à faire école, par exemple chez Jean-Claude Guiguet ou Gérard Frot-Coutaz. Ce courant semble correspondre à une culture, une approche du cinéma originale et en dehors des normes. Ce n’est pas un filon pécuniaire que Paul Vecchiali tente d’exploiter, mais plutôt une conviction qu’il cherche à nous faire partager en dépit de ses insuccès publics.


 

En ce qui nous concerne Rosa la rose, le spectateur doit bien se douter, malgré une affiche vulgaire et racoleuse, que le propos du film n’est pas l’étude d’un milieu dans le genre de La Dérobade (1), ou l’illustration croustillante des mémoires d’une fille de joie. Dès les premiers plans l’amateur de secrètes érections peut se diriger vers la sortie, le mouchoir immaculé au fond de la poche. Dans ce film très pudique, la seule scène de hard réside dans un baiser passionné. Ce qui intéresse Paul Vecchiali, ce sont les sentiments et l’amour avec un grand A. Sur ce sujet, il peut parfaitement se montrer pornocrate, voire pervers.


 

Rosa, jeune et jolie prostituée, vit dans la mythologie d’un "Milieu" romanesque, encouragée par le goût d’un mac cinéphile. Elle accepte sans gêne un carrousel de clients, du plus simple dans ses désirs, au plus biscornu de ses fantasmes. Adulée de son souteneur, elle coule des jours heureux.


 

Pourtant lors de ses vingt ans, elle tombe amoureuse d’un jeune maçon. L’électrochoc de l’amour fou fait basculer un univers qui lui apparaît dans toute sa banalité. Elle cherche à quitter le trottoir, à fuir ce monde. Victime de ses chimères, elle n’entrevoit aucune issue à sa liberté, elle s’imagine inexorablement traquée par une pègre toute puissante. L’échéance sera dramatique et l’amour maudit.


 

Cette convention du mélodrame est aussi la dénonciation d’une forme d’abrutissement, conséquence à des schémas de pensées et des références socio-culturelles trop confortables. Sur ce canevas, Paul Vecchiali donne libre cours à une fantaisie rose amère, mêlée d’un goût pour la provocation et une passion fanatique du cinéma, parfois trop appuyée dans ses références. Son grand défaut est de croire son cinéma populaire. Les réactions en salle vont à l’inverse de ses souhaits, puisque les spectateurs s’esquivent un à un.


 

Cette attitude s’explique en partie par une publicité mensongère, mais aussi par des afféteries et un système référentiel perceptible uniquement par les cinéphiles. On sent Paul Vecchiali tiraillé entre la simplicité et une démarche intello, d’où un hiatus et une incompréhension qui risque de lui nuire longtemps. Ce serait dommage car il fait partie de ces cinéastes attachants et talentueux qui se moquent des modes et de la démagogie pour parler de leurs croyances, de leur vision du monde et de sa représentation artistique.

Alain Caron
Jeune Cinéma n°174, mai 1986

1. La Dérobade de Daniel Duval (1979), d’après le roman homonyme de Jeanne Cordelier, un témoignage sur la prostitution, publié en 1976.


Rosa la rose, fille publique. Réal, sc : Paul Vecchiali ; ph : Georges Strouvé & Renato Berta ; mont : P.V., Franck Mathieu, Liza Strouvé ; mu : Roland Vincent ; cost : Nathalie Cercuel & Antoinette Dimanche. Int : Marianne Basler, Jean Sorel, Pierre Cosso, Catherine Lachens, Marie-Claude Treilhou, Jacques Nolot, Noël Simsolo, Évelyne Buyle, Jean Bollery, Pierre Oudrey, Heinz Schwarzinger, Laurent Lévy (France, 1985, 92 mn).



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