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Tu choisiras la vie (2022)
de Stéphane Freiss
publié le mercredi 25 janvier 2023

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 25 janvier 2023


 


Stéphane Freiss, même s’il n’occupe pas le devant de la scène médiatique, est un grand acteur, de théâtre et de cinéma (depuis 1983, une centaine de films), respecté, écouté. Né en 1960, il commence à avoir de la bouteille, et qu’après toutes ces années, il s’autorise enfin à passer derrière la caméra, c’est a priori une bonne nouvelle. Il avait bien déjà réalisé un court métrage malicieux, It Is Miracul’house (2011), mais c’était resté comme une blague privée entre amateurs. (1) Un clin d’œil à Hugh Laurie, et à leur ressemblance, physique (et, peut-être, mentale), un petit signe, comme pour faire partie de la bande loufoque de l’Anglais. Avec Tu choisiras la vie, Stéphane Freiss passe aux choses (très) sérieuses.


 

Esther est la fille d’un rabbin, elle appartient à une famille juive ultra-orthodoxe et doit bientôt se marier. Comme chaque année, la famille part pour le Sud de l’Italie, et s’installe dans la ferme d’Elio. Il s’agit de récolter les cédrats nécessaires à la fête du Souccot, une des trois fêtes prescrites par la Torah.


 

Esther a 25 ans, et elle a perdu la foi, pourtant cette année encore elle fait partie du voyage, effacée et discrète, comme doit l’être une femme. Mais cette fois, au cours du travail de la récolte, elle se rapproche du fermier et des saisonniers, et découvre une toute autre vie. Une autre perspective, une tentation, en quelques jours Esther la prisonnière fait l’apprentissage de l’extrême difficulté d’identifier son propre désir, et la liberté que cela suppose.


 


 


 

La description du milieu, ce domaine italien d’oliviers et d’agrumes sans avenir, comme celle de la tribu hassidique de passage et ses rituels presque comiques évitent toute caricature.


 


 

D’une façon générale, le récit est d’une grande pudeur. Par exemple, la relation entre les deux protagonistes, Esther et Elio, évite les clichés. Plutôt qu’une étreinte, la transgression physique se réduit à deux mains qui se frôlent et se serrent et c’est suffisant.


 


 

Stéphane Freiss dit que son film n’est pas autobiographique, mais il nuance l’affimation : "Quand je suis acteur, je suis protégé par un rôle, je suis caché derrière lui, tandis qu’avec Tu choisiras la vie, je parle intimement. Forcément, ce film me raconte". Il considère surtout que le sujet est universel. Il s’agit de s’extraire de ce qui nous a "fabriqués", dont fait toujours partie d’abord un héritage familial, plus ou moins pesant, parfois très lointain et toujours inconscient.


 

En fait, le plus grand intérêt du film est celui des premiers films d’acteurs passant à la réalisation. Connaissant le métier, ils savent utiliser au mieux les interprètes choisis. Ainsi, il y a longtemps que Riccardo Scarmaccio n’avait pas été aussi justement économe de ses moyens. Lou de Laâge, elle, parvient à donner une juste dimension à son personnage de jeune femme face à son destin, ligotée à la fois par une tradition à laquelle elle se soumet et la nécessité d’y échapper.


 

Il n’en reste pas moins que l’ambition du propos va au delà de l’anecdote et de la délicatesse du film. Stéphane Freiss précise qu’il ne s’agit pas d’un film sur l’engagement religieux, et il n’utilise pas le mot "karmique", préférant, pour parler de nos carcans, évoquer l’épigénétique (2). Ce que raconte le film, c’est, en substance, que le fameux "Deviens qui tu es" nietzschéen, et le "Connais-toi toi-même" du Temple de Delphes, sont des injonctions bien ténébreuses.

Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

1. "Hugh Laurie, l’homme aux 3 visages. Pour le plaisir des amateurs en ligne" Jeune Cinéma en ligne directe (2015).

2. L’épigénétique permet notamment d’étudier la transmission héréditaire des caractères acquis.


Tu choisiras la vie (aka Alla vita). Réal : Stéphane Freiss ; sc : S.F., Audrey Gordon, Caroline Deruas-Garrel, Laure Deschenes ; ph : Michele Paradisi ; mont : Aline Hervé ; mu : Giovanni Mirabassi ; déc : Isabella Angelini ; cost : Florence Emir. Int : Lou de Laâge, Riccardo Scamarcio, Pierre-Henry Salfati, Astrid Meloni, Nicola Rignanese, Coraly Zahonero, Anna Sigalevitch, Natacha Krief, Jérémie Galiana, Anaël Guez, Max Huriguen, Haïm Vital Salfati, Liv Del Estal, Fiorenza Tessari, Luigi Diberti (France-Italie, 2022, 99 mn).



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