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Destin de Juliette (le) (1983)
de Aline Issermann
publié le mercredi 25 janvier 2023

par Henry Welsh
Jeune Cinéma n°153, octobre 1983

Sélection de la Semaine de la critique au Festival de Cannes 1983

Sorties les mercredis 21 septembre 1983 et 25 janvier 2023


 


Un anti-Roméo vrille au cœur de cette Juliette une amertume dont elle aura le plus grand mal à se départir. Mariée-vendue pour une maison, et encore une maison de fonctionnaire SNCF, Juliette, la bonne petite fille à l’amour brisé, se conformera un temps à un destin misérable et humiliant.


 

Il est vrai que son père, maréchal-ferrant, a une tendance bien prononcée pour le "coup de l’étrier". Du coup, il vend sa maison et ses enfants, dans les campagnes cela se faisait. Sa mère folle, son petit frère qui, de dépit, se suicidera, son mari qui ne réalise pas sa nouvelle situation, tout cela constitue un contexte qui pèse lourd pour une jeune épouse.


 


 

À travers ce contexte, c’est une analyse sans complaisance que fait Aline Isserman, la réalisatrice dont c’est le premier film. Un véritable réquisitoire sans parti-pris dressé contre l’absence de choix possible, il n’y a pas si longtemps que cela en Sarthe.


 


 

D’autant que le fond de l’histoire est authentique, même si le traitement de toute cette vie est fictionnel, arrangé et joué par des acteurs étonnants.
Laure Duthilleul, que l’on a vue dans À toute allure de Robert Kramer (1982), est proprement fantastique. Son jeu a, à la fois, la saveur rare d’une jeune première douée et la qualité exquise d’une grande actrice chevronnée, sans que ce mélange hétérogène semble artificiel ou plaqué.


 

Richard Bohringer, assez fidèle à une image que l’on a de lui, est bien en place dans le rôle du mari insatisfait. Contrairement au film de Bertrand Van Effenterre, Le Bâtard (1983), la fille qui naît de cette union boiteuse sera une arme aiguisée. Pour combattre son propre découragement, pour lutter contre un mari alcoolique, cette enfant représente le meilleur soutien pour Juliette.


 


 

Peu à peu, le cauchemar s’estompe comme s’atrophie Marcel, le mari. Sa mort n’est ni un soulagement ni une peine : c’est l’issue logique d’un projet mort-né qui ne pouvait aboutir.


 


 

D’ailleurs, le film rend justice de cette annulation. Pris entre deux séquences où nous voyons Juliette seule dans un train, la nuit, il n’est que le récit d’un souvenir. Le flash-back de toute une vie qui n’a pas vraiment été vécue. Un vie-symbole, dans laquelle se reconnaîtront peut-être celles ou ceux pour qui le destin n’a pas encore la valeur d’un flash-back.


 

Il y a quelque chose de vital qui passe dans le cinéma de Aline Isserman, un poids, une certaine lenteur, comme quoi même les plus vieux procédés sont loin d’être dévalorisés par les nouveautés sémantico-cinématographiques, pour le plus grand plaisir du spectateur.

Henry Welsh
Jeune Cinéma n°153, octobre 1983

* En même temps que ressort le film dans les salles, paraît le roman de Aline Issermann, L’insolente liberté des boutons d’or, Paris, 2023.


Le Destin de Juliette. Réal : Aline Issermann ; sc : A.I. & Michel Dufresne ; ph : Dominique Le Rigoleur ; mont : Dominique Auvray ; mu : Bernard Lubat ; déc : Danka Semenovicz. Int : Laure Duthilleul, Richard Bohringer, Véronique Silver, Pierre Forget, Didier Agostini, Hippolyte Girardot, Grégory Cosson (France, 1983, 115 mn)



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