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Astrakan (2021)
de David Depesseville
publié le mercredi 8 février 2023

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°420-421, mars 2023

Sélection officielle du Festival de Locarno 2022

Sortie le mercredi 8 février 2023


 


Samuel est recueilli par une famille d’accueil dans le Morvan. Alors que le préadolescent perturbé se trouve en manque d’amour, battu et déconsidéré, il tente de s’en sortir. Astrakan se structure autour de son jeune héros, dont on épouse le point de vue et la perception. Soit une subjectivité apte à laisser place au doute dans l’esprit du public quant à la nature du jeune garçon : est-il véritablement simple d’esprit ou perturbé par les sévices qu’il subit et a subis ?


 


 

Une question non-résolue, également forgée par le mystère entourant le passé tu du personnage, et qui contribue lui-même à l’étrangeté globale de l’ambiance de l’œuvre. Une étrangeté encore accentuée par l’attitude et les coutumes à la limite du bizarre de la famille adoptive de Samuel, constituée de personnages semblant sortir de l’univers de Bruno Dumont, sans que cela n’empêche jamais de s’attacher à eux.


 


 

Dans un même temps, l’association du spectateur à la perception de Samuel qui, s’il est limité intellectuellement, compense son handicap par une sensibilité accrue, est transcrite par l’usage de la pellicule. Une pellicule dont le grain et le contraste subliment des décors campagnards bucoliques et magnifient les effets des saisons traversées : de la chaleur estivale qui augmente la puissance de premiers émois érotiques, à la froideur incisive de l’hiver qui maintient une forme de violence alors que la tranquillité règne, jusqu’aux couleurs mates de l’automne qui accentuent la mélancolie finale du film. Soit l’association d’une limitation cognitive à une perception poétique de l’espace propre à signifier une forme de grâce chrétienne touchant un être simple.


 


 

Cet aspect religieux, accentué par les visions ponctuelles de Samuel, se ressent particulièrement dans la dernière partie, mystique, du film. Une conclusion, le seul instant où soit présente une musique (classique) emplie de visions iconiques à la symbolique chrétienne, correspondant aux désirs enfouis du préadolescent et qui évoque un grand final tarkovskien.


 

Une nuance est toutefois à porter à la qualité du film : le point de vue atypique de Samuel, couplé à l’usage de la pellicule ainsi qu’à la maladresse d’écriture de certaines scènes peu crédibles, en vient à troubler, pour le public, les repères chronologiques de l’histoire.


 

La campagne française et le rapport au cinéma tel que décrit peuvent ainsi correspondre à ceux de la France des années 50, tandis que l’argent et les voitures utilisés n’ont de cesse de rappeler que nous sommes bien à l’époque moderne. L’ensemble tend ainsi à troubler l’immersion du spectateur, à le distancier du héros et à rendre le film plutôt inégal.
Proche des Petites amoureuses de Jean Eustache (1974), tout en évoquant le cinéma mystique de Robert Bresson, Astrakan est donc une œuvre difficilement cernable, parfois maladroite. Mais dont aucun de ces défauts ne doit empêcher de s’y frotter.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°420-421, mars 2023


Astrakan. Réal : David Depesseville ; sc : D.D. & Clara Bourreau ; ph : Simon Beaufils ; mont : Martial Salomon. Int : Bastien Bouillon, Jehnny Beth, Mirko Giannini, Théo Costa-Marini (France, 2021, 104 mn).



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