Parmi les trente-quatre premiers longs métrages français de l’année 1986, Noir et Blanc de Claire Devers, départage avec passion la critique et le public. Pour les uns, le film est un coup de maître - primé aux festivals de Grenoble, de Belfort et couronné de la Caméra d’Or à Cannes. Pour les autres, ce film est une provocation absolue et malsaine.

Bref, avec calme et avec refus d’excès dithyrambiques ou de pudeur hargneuse, on peut dire que Noir et Blanc est un film singulier et quelque peu dérangeant, car il renvoie le spectateur à son propre jardin secret de la jouissance et atteint la parcelle inavouée ou inavouable de masochisme qui sommeille en tout un chacun.

Noir et Blanc raconte les jeux sexuels (tout coït étant exclu) d’un petit homme malingre (Antoine) avec (Dominique), Apollon noir d’un centre sportif de la grande forme. Antoine, comptable de son métier, additionne, soustrait, multiplie, divise à longueur de journée. Pendant ses loisirs, il chante sans souffle dans une chorale et vit le quotidien insipide auprès de son épouse.

Sa vie bascule le jour où le directeur du centre sportif lui offre, après sa prestation de comptable, de se faire masser par Dominique. Cette première séance de soins lui révèle la jouissance et sa propension au masochisme.

Chaque soir après le turbin, selon un rituel de communication uniquement corporelle, Antoine réclame les mains et la force de Dominique et se soumet à la violence du masseur. Échymoses, bras cassé, douleurs multiples aboutissent à la mise à mort d’Antoine dans un décor de poulies et de machines d’une usine désaffectée.

En dépit de quelques longueurs et de la maladresse de la séquence finale, saluons le talent provocateur de Claire Devers et la complicité de jeu de Francis Frappat (Antoine) et de Jacques Martial (Dominique). Noir et Blanc est un coup à l’estomac filmé par une main de velours.

Anne Kieffer
Jeune Cinéma n°179, février-mars 1987

Noir et blanc. Réal, sc : Claire Devers, d’après la nouvelle Le Masseur noir de Tennessee Williams (1948) ; ph : Daniel Desbois, Christopher Doyle, Alain Lasfargues & Jean-Paul Rosa da Costa ; son : Pierre Donnadieu ; mont : Fabienne Alvarez-Giro & Yves Sarda. Int : Francis Frappat, Jacques Martial, Joséphine Fresson, Marc Berman, Catherine Belkhodja, Benoît Régent, Isaach de Bankolé (France, 1986, 80 mn).