Une histoire vraie comme on dit parfois sur les affiches et les bandes annonces de certains films, en guise d’argument publicitaire. Sauf qu’ici, nul besoin de publicité, l’histoire a été maintes fois contée, et a enclenché le mouvement pour les droits civiques. Pour en trouver un compte rendu engagé, il faut absolument se reporter au texte de la chanson écrite en 1962 par Bob Dylan, reprise par Joan Baez, "The Death of Emmett Till" (1). Et si les faits que racontent le film datent de 1955, leur écho vient encore frapper aux portes de l’Amérique d’aujourd’hui, lorsque, en mars 2022, Joe Biden signe le "Emmett Till Antilynching Act", faisant du lynchage un crime fédéral. Keith Beauchamp (coscénariste du film) avait réalisé, en 2005, un documentaire : The Untold Story of Emmett Louis Till.

Aujourd’hui la fiction éclaire les faits d’un jour différent et complémentaire. Bien sûr, il n’est pas question d’évacuer tout l’aspect factuel. Nous sommes à l’été 1955, lorsqu’une mère accepte d’envoyer son fils passer deux semaines de vacances chez son oncle dans une bourgade rurale du Mississippi.

Elle est veuve d’un militaire noir mort en Europe et elle est la seule employée de couleur sur une base aérienne près de Chicago. Elle met en garde avec insistance Bobo, son fils de 14 ans, sur les dangers qu’il risque de rencontrer là-bas par rapport au racisme ambiant. Dans la boutique où il va acheter des bonbons, il sourit à la vendeuse en faisant une plaisanterie sur sa beauté. Peu de temps après, le mari et quelques acolytes viennent enlever de nuit le jeune garçon. Son corps sera retrouvé par hasard dans une rivière, affreusement mutilé, une balle dans la tête.

À partir de là, le film se concentre sur la douleur et le combat de la mère. Elle va demander des obsèques avec un cercueil ouvert pour que tout le monde puisse voir l’horreur du lynchage. La photo fera la Une de nombreux journaux. Elle sera contactée par le célèbre militant pour les droits civique, Medgar Evers (2), qui l’incitera à déposer plainte. Des coupables seront retrouvés et jugés dans un climat détestable, et avec un jury composé uniquement de Blancs qui, au bout d’une heure de délibération, déclareront les inculpés innocents.

La réalisatrice d’origine nigériane, Chinonye Chukwu, opère des choix très personnels, qui la conduisent à refuser le spectaculaire. Rien ne sera montré du lynchage lui-même, le visage du garçon sera à peine entrevu. Aucun misérabilisme non plus dans la représentation des Noirs, y compris dans la scène du ramassage du coton auquel participe Bobo avec ses cousins. Le film met surtout l’accent sur la douleur d’une mère. La scène de l’identification touche à des choses essentielles.

Elle commence par prendre les pieds du cadavre dans ses mains et à explorer son corps. Geste qu’elle explique au tribunal quand on lui demande comment elle peut être certaine qu’il s’agit de son fils quand on ne peut même plus reconnaître son visage. Elle dit, avec émotion, que les doigts d’une mère peuvent reconnaître chaque parcelle du corps de l’enfant qu’elle a élevé pendant quatorze ans.

Film sur la douleur, mais aussi sur le combat contre l’injustice et le racisme. Mamie Till vers la fin du procès ne se fait aucune illusion sur la décision que prendront le jury et le juge. Elle devient une ardente militante du NAACP, juste avant qu’à Montgomery, Rosa Parks et Martin Luther King ne donnent le départ d’un combat qui va modifier en profondeur le visage de l’Amérique. Un combat toujours d’actualité, même pour le cas d’Emmett Till.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°420-421, mars 2023

1. The Death Of Emmett Till (1963).
Par Joan Baez.

1. Medgar Evers 1925-1963 membre de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), assassiné le 12 juin 1963 à Jackson, Mississippi.
Il inspire à Bob Dylan la chanson Only a Pawn in Their Game (1963), à Phil Ochs, The Ballad of Medgar Evers ("Too Many Martyrs") (1964), à Nina Simone, Mississippi Goddam (1964).

Emmett Till (Till). Réal : Chinonye Chukwu ; sc : C.C., Michael Reilly & Keith Beauchamp ; ph : Bobby Bukowski ; mont : Ron Patane ; mu : Abel Korzeiowski. Int : Danielle Deadwyler, Jalyn Hall, John Douglas Thompson, Sean Patrick Thomas, Whoopi Goldberg (USA, 2022, 130 mn).