Un des meilleurs films français présentés à Cannes est indiscutablement Le Dossier 51 que Michel Deville (une résurrection) a réalisé d’après le roman de Gilles Perrault.
Une réalisation qui était difficile : le livre, entièrement composé de fiches, de notes de service et de rapports policiers, n’offrait aucun support dramatique solide. Il n’y a rien de moins spectaculaire, en effet, qu’un dossier de services secrets : cela tourne radicalement le dos au mythe du policier-aventurier à la James Bond, et n’a rien qui puisse rappeler les courses haletantes des films d’espionnage.

Bien au contraire, il s’agit d’une enquête minutieuse qui tient du travail de fourmi, aussi lent qu’ordonné. Son but : Découvrir chez un individu - en l’occurrence un diplomate français du Quai d’Orsay - la faille, le défaut de la cuirasse qui permettra, un jour, de le faire chanter et de le tenir en absolue possession.

Michel Deville - et c’est là son coup de génie - n’a pas voulu mentir à la forme du livre de Gilles Perrault. Ne cherchant pas à transformer cette aride somme de renseignements en histoire, il a trouvé une écriture cinématographique qui rappelle la froideur chirurgicale des analyses contenues dans le roman : projection de diapositives sur fond de commentaire anonyme ; fiches signalétiques crachées par des ordinateurs sophistiqués ; bandes-son brouillées qui ont enregistré la vie la plus intime de l’homme-cible, etc.

Michel Deville a opéré tout un travail pour rendre la caméra subjective et le résultat est fascinant. Grâce à ce parti-pris de mise en scène glacée et à l’interprétation remarquable d’un Roger Planchon plus diabolique que jamais, il a réussi à créer un surprenant climat d’angoisse. Le spectateur, placé au cœur de l’enquête, devient une espèce de voyeur gêné.

On assiste au viol d’un inconscient et à l’implosion d’un être, on ne peut pas rester de sang-froid. Le Dossier 51 fait peur avec une aventure quotidienne qui ne contient aucune violence avouée. C’est un avertissement sur ce qui peut nous arriver d’un jour à l’autre et, en cela, un film particulièrement actuel. Il traite d’un fait de société : la mise en fiche des individus - problème trop brûlant pour ne pas nous toucher au plus profond de nous-mêmes.

Avec Le Dossier 51, Michel Deville a réussi un film politique qui nous concerne tous. Ce film aurait particulièrement bien représenté la France dans la compétition officielle. Dommage qu’on ne l’y ait pas retenu.

Fabian Gastellier
Jeune Cinéma n°112, juillet 1978

Le Dossier 51. Réal : Michel Deville ; sc : M.D. & Gilles Perrault, d’après son roman (1969) ; ph : Claude Lecomte ; mont : Raymonde Guyot ; mu : Jean Schwartz et Franz Schubert ; déc : Noëlle Galland. Int : François Marthouret, Roger Planchon, Patrick Chesnais, Jean Martin, Daniel Mesguich, Anna Prucnal, László Szabó, Didier Sauvegrain, Jean Dautremay, Claire Nadeau, Christophe Malavoy, Michel Aumont (France, 1978, 108 mn).