par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2022
Sortie le mercredi 1er mars 2023
Au Soudan, sur le chantier de construction d’un barrage, loin de tout, alors que la révolte de la population se profile, un jeune homme, Maher, tente de réaliser son rêve en donnant vie à une créature mystique, une sorte d’esprit ancestral de la terre. Toute la puissance du Barrage émane de son parti pris de restreindre le recours à des effets visuels voyants, afin de créer d’abord le fantastique à travers ses décors, son ambiance et surtout l’œil de son personnage principal.
Un personnage dont on épouse le point de vue, et dont l’interprétation qu’il effectue des divers signes de la réalité, le souffle du vent ou le calme du désert, finit par donner vie à l’environnement. L’intelligence du réalisateur, Ali Cherri, est de privilégier le temps long en allongeant ses séquences, en se focalisant sur l’observation, la suggestion et le non-dit (violence incluse) pour laisser poindre le fantastique petit à petit et, ainsi, intriguer le public.
Cela advient notamment grâce au travail sur les cadres, qui magnifient les décors et les divers éléments, eau, terre, air et feu, et donnent à l’œuvre sa poésie tellurique et sensuelle, confèrant au Barrage une beauté plastique stupéfiante et magnétique. Un magnétisme partagé par l’interprète principal, dont la solitude et les silences, en miroir du fracas du monde qui se fait entendre au loin, dans le hors-champ, n’ont de cesse de renforcer la puissance de son regard.
Cette solitude du personnage est d’ailleurs l’aspect le plus politique du film : régulièrement on entend à la radio les bruits lointains de la révolte soudanaise. Ce fracas qui émane exclusivement de l’extérieur accentue l’isolement de Maher, comme celui de l’ensemble des autres personnages, apparemment guère concernés, en tous cas pas directement, par ce qu’il se passe dans leur propre pays. Ce qui résonne symboliquement comme un avertissement : le renversement de la dictature ne signifie pas la fin de la misère ou de l’oubli, elle ne doit être que le prélude à l’avènement des rêves de chacun.
Ali Cherri crée ainsi une forme de résonance discrète, de jeux d’échos, entre le rêve de son héros, qui cherche à retrouver un esprit immémorial, et celui de la volonté de libération de tout un pays, la libération d’un peuple, comme celle d’un individu, passant par celui de son imaginaire et par un retour aux sources culturelles. La nature contemplative du Barrage ne l’empêche pas de revêtir un aspect documentaire lorsqu’il observe les ouvriers au travail sur le chantier, et sa poésie et ses ambiances sonores très travaillées contribuent à donner vie au fantastique du film, en le rendant particulièrement hypnotique.
Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe
Le Barrage (Al-Sadd). Réal, sc : Ali Cherri ; sc : Geoffroy Grison & Bertrand Bonello ; ph : Bassem Fayyad ; mont : Isabelle Manquillet & Nelly Quettier ; mu : Rob. Int : Maher El Khair, Mudathir Musa (France-Serbie, 2022, 84 mn).