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Goutte d’or (2022)
de Clément Cogitore
publié le mercredi 1er mars 2023

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°420-421, mars 2023

Sélection de la semaine de la critique au Festival de Cannes 2022

Sortie le mercredi 1er mars 2023


 


Pour son troisième long métrage, le plasticien, vidéaste et réalisateur Clément Cogitore frappe fort. Ayant vécu longtemps dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, réputé pour sa mixité sociale et une certaine ambiance à la fois bon enfant et dangereuse, il décide d’en tirer une histoire in situ dans laquelle vont entrer en scène les marabouts et autres charlatans qui y pullulent.


 


 

Le film raconte d’une manière hyper réaliste la vie de Ramsès, 35 ans, qui tient un cabinet de voyance dans ce quartier parisien. Habile manipulateur et un peu poète sur les bords, il a mis sur pied un solide commerce de la consolation.


 


 

Pendant la première partie du film, le spectateur se laisse transporter par un mouvement continuel de personnages, dans une sorte de ballet auquel il ne comprend goutte, mais on sent que l’atmosphère est tendue et que Ramsès, le seul à n’avoir mis aucune barrière religieuse à ses voyances afin de ne négliger aucune clientèle, ne s’est pas fait que des amis parmi tous les autres voyants, justement à cause de ses méthodes.


 

Caméra à l’épaule pour donner l’impression de vitesse et de vibration, dans une image à la fois froide et habitée du directeur de la photographie, Sylvain Verdet, le film donne le tournis et la fièvre car les dialogues souvent inaudibles ou inachevés contribuent à rendre l’atmosphère étrange. Ce qui semble normal pour un film qui traite de phénomènes paranormaux ou présentés comme tels à une clientèle naïve. Ce début de film pose une question à laquelle il ne répond pourtant pas : pourquoi ce besoin de parler, ce besoin de mystères qui font toute l’âme humaine, dans toutes les sociétés ? "Les marabouts sont une réalité du quartier qui m’intéresse énormément, déclare Clément Cogitore. "Qu’est-ce que le récit consolateur de ces médiums, avec ses règles, et ses escroqueries, mais qui en même temps prend en charge une douleur réelle ? Raconter ce milieu était aussi, pour moi, une manière d’interroger ce qui est à l’œuvre dans mon travail, qui lui aussi procède du récit, et interroge cette nécessité de se raconter autant d’histoires".


 


 

Pour ce faire, le réalisateur s’est abondamment documenté. Sa directrice de casting, Tatiana Nuytten Vialle, a su l’assister pour soutenir et aider tous les acteurs non-professionnels, notamment les enfants mineurs de la rue de Tanger qui terrorisent réellement le quartier. Ils apparaissent dans la deuxième partie du film et représentent le point d’acmé de cette histoire. Ramsès parvient peu à peu à les canaliser et, disons le mot, à les aimer, parce que, justement, il a, pour la première fois, à leur contact, sa première vision.


 

Tout le film repose d’ailleurs en grande partie sur le talent de l’acteur qui interprète Ramsès, Karim Leklou, Celui-ci est depuis quelques années une des figures les plus remarquées du jeune cinéma français, avec sa palette de jeu très large, passant dans le même mouvement de la violence à la douceur et au charme, aussi à l’aise en petite frappe de Barbès, comme ici, qu’en fils de famille ou en flic compromis, comme dans Bac Nord de Cédric Jimenez (2020). Ce n’est pas pour rien en effet que les enfants vont subir l’envoûtement bénéfique de ce personnage démiurge et chaman, en lui offrant une chaîne et un pendentif ovale en or.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°420-421, mars 2023


Goutte d’or. Réal, sc : Clément Cogitore ; ph : Sylvain Verdet ; mont : Isabelle Manquillet ; mu : Éric Betz. Int : Karim Leklou, Malik Zidi, Elsa Wolliaston (France, 2022, 98 mn).



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