Anna (Julie Gayet), une actrice qui frise la cinquantaine, joue une scène de rupture dans un café, filmée par Sébastien Bailly himself. Au plaisir de s’être bien acquittée du rôle, succède un désarroi perceptible quand elle va dans l’antre oriental de Madame Peng, qui lui donne un élixir, "trois gouttes pas plus, trois gouttes pas moins" après lui avoir dit avec perspicacité : "Il y a mille vies en vous".

Anna vit la peur de l’abandon, son mari Antoine (Benjamin Biolay), metteur en scène de théâtre, a un nouveau projet et exclut visiblement de lui donner le rôle principal dont elle rêvait, sur lequel elle avait pris des notes de travail. Elle se présente au casting d’Antoine, précipitant la rupture qui la dévaste. Lors d’une réception, elle le voit s’intéresser à une jeune journaliste (Agathe Bonitzer) confite d’admiration.

L’élixir, qu’elle avait déjà expérimenté, lui permet de se métamorphoser en sa rivale. Invisible comme Mia Farrow dans Alice de Woody Allen (1990), elle revit l’amour perdu, partagée entre l’espoir que la complicité avec Antoine subsiste et la réalité illusoire, elle n’est plus la femme de trente ans qui attire Antoine comme la promesse d’un regain de jeunesse. Le prix à payer se traduit par l’épuisement et la dégradation physique.

Sébastien Bailly a choisi "une fin romantique" tout en évoquant une autre issue sans laisser vraiment d’espace au spectateur pour en décider.
Il insuffle une tonalité fantastique réussie dans une histoire banale de désamour et de rupture - sur ce thème, le film de Yannick Bellon, La Femme de Jean était mémorable (1). Il joue des métamorphoses entre les deux actrices avec brio.

Mais en les multipliant, quand Anna, addict à l’élixir, se transforme en femme désirée par des inconnus trouvés au hasard, le rôle de l’actrice se réduit au seul désir de l’autre. Le film suggère une réflexion sur la créativité, le talent d’une actrice à incarner un large éventail de rôles, une transformation sans cesse renouvelée, alors que dans son journal, Anna écrit qu’il s’agit d’être actrice de sa vie.

Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Cf. "Rencontre avec Yannick Bellon", Jeune Cinéma n°81, septembre-octobre 1974.

Comme une actrice. Réal : Sébastien Bailly ; sc : S.B. & Zoé Galeron ; ph : Thomas Favel ; mont : Ariane Boukerche ; mu : Laurent Levesque ; déc : Emmanuel Le Cerf ; cost : Dorothée Lissac. Int : Julie Gayet, Benjamin Biolay, Agathe Bonitzer, Jenny Arasse, Cyril Gueï, François Rostain, Lise Bellynck, Julien Collet, Jeremy Charvet (France, 2022, 93 mn).