par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 8 mars 2023
Femme de mère en fille est le premier long métrage de Valérie Guillaudot, membre du collectif ariégeois Caméra au poing. C’est à la fois un documentaire et un exemple de ce que les sociologues féministes appellent "ego histoire". L’auteure relie son cas personnel à l’histoire sociale au sens large. Pour ce faire, elle fait intervenir à plusieurs reprises Michelle Perrot, l’initiatrice de cette discipline en France.
Le film commence comme une adresse à sa mère, dite par la réalisatrice en voix off dès avant le générique. À la suite de quoi il sera question d’une trinité féminine représentée par la mère, destinataire du film, la grand-mère et, enfin, elle-même. Autrement dit : Odile (née en 1927), Marie (née en 1902) et Valérie (née en 1971).
Telles des poupées russes, elles couvrent l’histoire du siècle passé. La réalisatrice, avant d’entrer dans le vif du sujet, dévoile les outils qui serviront à sa monstration : de très nombreuses photos en noir & blanc, pour la plupart de famille - certaines, les plus posées, provenant de photographes professionnels -, et des films en 8 et super 8 pris au cours de fêtes. Valérie Guillaudot s’autofilme, son laptop ouvert, choisissant les images préalablement numérisées, les ordonnant, les raccordant à vue.
Sa grand-mère était femme d’agriculteur. On la voit, entourée de ses dix enfants, dans sa ferme, non loin de Parthenay. Inutile de dire que le curé du Tallud (le nom de ce village des Deux-Sèvres) est tout puissant. Toute forme de contraception étant un péché avant-guerre, le taux de natalité ne semblait pas problématique. La grand-mère s’occupait avec autorité du foyer, de la basse-cour, des vaches et des cochons et se conformait au modèle en vigueur.
C’est ce rôle, précisément, que se refusa à jouer sa fille. On apprend que celle-ci détesta toute sa vie ce qui touche au ménage et aux travaux de la ferme. À l’âge de 12 ans, elle fut envoyée à Angers en pension chez les bonnes sœurs "pour y apprendre la soumission", rappelle dans un entretien une de ses amies de l’époque.
Odile voulut s’en sortir par des études d’institutrice, rêve qu’elle ne put réaliser étant atteinte de tuberculose. Elle passa avec succès le concours d’entrée aux PTT. Ce métier avait en ce temps-là un certain prestige ; il assurait une protection et était un terrain de prédilection pour des femmes souhaitant être indépendantes. On devenait maîtresse d’école ou demoiselle des postes. Mais la vie d’Odile réserve d’autres surprises. Au sanatorium, elle s’était découvert une âme sœur, Juliette, avec qui elle cohabita une dizaine d’années durant. Celle-ci la suivit au gré de ses mutations, se chargeant bien entendu de tenir la maison.
Michelle Perrot rappelle que les couples de femmes n’étaient pas un fait isolé, réservé aux milieux mondains ou bohèmes. Cette tradition remonte au 19e siècle, qui favorisait l’entraide, atténuait la peur de la solitude et répondait aux défis du quotidien. Cette forme de vie à deux supposait néanmoins, surtout en province, un courage certain.
Valérie Guillaudot est la troisième figure de cette saga. Elle nous confie peu d’elle… sinon qu’elle a hérité de la détestation des tâches ménagères. Façon plaisante de rendre hommage à sa génitrice.
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
Femme de mère en fille. Réal, sc, mont : Valérie Guillaudot ; ph : Magali Chapelan & Gertrude Baillot ; mont : Hélène Lioult ; mu : Jean-Paul Raffit (France, 2021, 74 mn). Documentaire.