Berlin 1971
Forum du jeune cinéma, 1ère édition
publié le samedi 7 février 2015

Berlin, 21e édition

Berlin : Jeune Forum

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°58, novembre 1971

Suivi d’un entretien avec Ulrich Gregor

Le festival de Berlin a une tradition assez "commerciale".
La sélection de cette année cependant était loin d’être insignifiante - surtout si l’on tient compte de la difficulté des sélection de tout autre festival, après la prolifération de Cannes.

Sans doute la sélection du film de Vittorio De Sica, Le Jardin des Finzi Contini n’était-elle pas faite pour relever une réputation. À quoi bon partir d’un grand texte pour aboutir à un film plat ?

Sans doute, par rapport aux œuvres d’autres cinéastes allemands de classe internationale présents à Berlin, les deux films sélectionnés répondaient à des critères trop "commerciaux" : L’Amour dans la maison de verre de Paul Verhoeven d’abord, mais aussi Whity, film non dépourvu d’intérêt où Rainer Werner Fassbinder applique la méthode assez fascinante de ses précédents films, mais cette fois sur une action américanisée (il faut préciser : antiraciste).

Mais d’autres films pouvaient figurer dans le festival le plus exigeant : Le Décaméron de Pier Paolo Pasolini, Moissons rouges (Rdece klasje) de Zivojin Pavlovic (un des films les plus durs sur la collectivisation forcée), et même - s’ils n’étaient pas absolument inédits - Sacré Charlie (Lyckliga skitar, 1970) de Vilgot Sjöman, Les Quatre Nuits d’une rêveur de Robert Bresson, Qu’il était bon mon petit Français de Nelson Perreira dos Santos.

Le très grand succès remporté par Viva la muerte, le premier film de Fernando Arrabal, présenté par l’Association française de la critique, et dont il fallut répéter la projection, semble prouver qu’il y a un public à Berlin prêt pour ce festival plus exigeant.

Le Forum, 1ère édition

La grande innovation était cependant le Forum du jeune film fonctionnant en parallèle du festival proprement dit.
En quelque sorte un équivalent berlinois de ce qu’est, à Cannes, la Semaine de la critique, mais disposant de moyens matériels, d’un vrai budget (que la Semaine pourrait proposer en exemple) et d’un appui sur les organisations de culture cinématographique, que les fédérations de ciné-clubs chez nous peuvent considérer avec envie.

Cinquante ’jeunes films’, si on compte les moyens métrages, présentés au Forum pendant huit jours, cela aurait pu être un déluge de films faits-pour-soi-tout-seul-et-les-copains et pour-jouer-avec-la-caméra.

Qu’il n’en ait rien été, que pratiquement tous les films (même avec un langage difficile aient une une sorte de portée générale, une signification pour un public, cela veut dire, de la part de l’équipe de sélectionneurs, des options et une exactitude que nous devons admirer. Cela signifie aussi un refus du snobisme de l’inédit - d’autant plus absurde ici que le Forum s’adresse à une public allemand particulièrement sevré (et affamé) de bon cinéma.

Beaucoup des films du Forum avaient déjà été présentés à Cannes.

* À la Semaine de la critique : Je t’aime, je te tue de Uwe Brandner, Soleil O de Med Hondo, Remparts d’argile de Jean-Louis Bertucelli, Les Passagers de Annie Tesgot.

* À la Quinzaine des réalisateurs : Wilhelm Reich - Les mystères de l’organisme de Dusan Makavejev qui fut l’un des plus gros succès, La Salamandre de Alain Tanner, Voto + Fusil de Helvio Soto, The Murder of Fred Hampton de Howard Alk.

Cependant, il y avait aussi un apport propre du Forum pour les globe-trotters de festivals que sont les critiques.

Et d’abord les films allemands : Der grosse Verhau de Alexander Kluge, Geschichten vom Kübelkind de Edgar Reitz et Ula Stöckl, qui, s’ajoutant au film de Uwe Brandner, représentaient une plus riche pâture que les films en compétition.

Il y avait aussi des témoignages très engagés dans la vie politique et sociale du monde présent.

Bananera Libertad du Suisse Peter von Gunten, sur l’exploitation de l’Amérique latine par les USA.

Argentina, mayo de 1969 : Los caminos de la liberación (film collectif et clandestin sur le soulèvement écrasé de la jeunesse et du peuple en République argentine).
[NDLR : Les réalisateurs sont Rodolfo Kuhn, Humberto Ríos, Eliseo Subiela, Nemesio Juárez, Pablo Szir, Pino Solanas, Jorge Martín, Octavio Getino, Jorge Cedrón et Enrique Juárez].

The Great Chicago Conspiracy Circus (Chicago 70) de Kerry Feltham. Une transcriptions du procès des huit de Chicago, à la manière de Alice au pays des merveilles, qui en dit long sur le système de justice américain, et qui eut un grand succès).

Ce n’est pas l’homosexuel qui est pervers mais la situation où il vit de Rosa von Praunheim, film d’éducation, mais dans un domaine assez inhabituel, dont la qualité filmique n’est pas remarquable, mais dont l’impact se révélait dans la passion de la discussion.

La place prise par les discussions, et la solidité de l’information fournie chaque jour par des fiches imprimées sur les films présentés sont une des caractéristiques et une des réussites du Forum de Berlin. Ceci est sans doute lié à la situation d’un pays où l’exploitation cinématographique est particulièrement arriérée, et où l’esprit du mouvement ciné-club reste l’inspiration unique de la culture cinématographique.
Ce qui ne veut pas dire que dans un pays comme le nôtre, où, grâce au cinéma d’essai, l’appareil culturel de l’exploitation cinématographique est moins sous-développé, le mouvement ciné-club n’ait pas beaucoup à tirer de l’expérience de Berlin.

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°58, novembre 1971


Entretien avec Ulrich Gregor

Jeune Cinéma : D’où est venue l’initiative du Forum du jeune film ?

Ulrich Gregor : Il y a eu, en 1970, une grande crise du festival de Berlin, qui a même dû être interrompu un ou deux jours avant la date prévue.
La cause immédiate était le reproche de manœuvres politiques porté contre son jury. On l’accusait d’avoir fait pression pour écarter de la sélection un film jugé anti-américain. Le jury, que cela ne regardait en rien, pas la commission de sélection.
À partir de là, une grande discussion s’est développée pour la réorganisation du festival.
En automne, des propositions ont été faites en assemblée publique.
À Noël, une décision fut prise de créer une structure parallèle au festival, le Forum.

On s’adressa aux Amis de la cinémathèque de Berlin-Ouest parce qu’elle avait fait antérieurement des propositions.
Nos propositions ne prévoyaient pas ce parallélisme, elles envisageaient une refonte globale du festival.
Mais les positions du commerce et de l’industrie cinématographiques sont sans doute trop fortes pour qu’on puisse en réaliser cette refonte, pour l’instant.
On nous donnait des garanties d’indépendance. Nous avons tenté l’expérience.

JC : De quel moyens avez-vous disposé ?

U.G. : On nous a alloué 300 000 marks (1), c’est une subvention plus importante que celle de Mannheim ou d’Oberhausen.
Nous avons voulu que cet argent serve essentiellement à la diffusion des films présentés. Nous l’avons donc employé à tirer des copies de ces films et, quelquefois, à en assurer le sous-titrage. Ainsi sont préservés des films dont les copies s’usent, de présentation en présentation, sans que les réalisateurs aient les moyens de les remplacer. Ainsi, également, est rendu possible un accord ultérieur de distribution. Cela nous paraissait plus important que d’organiser pendant dix jours une chose formidable dont rien ne resterait après.

L’organisation, cette année, a été assurée par cinq personnes travaillant - mettons à mi-temps -, Gandert et moi, actuellement co-présidents des Amis de la Cinémathèque, d’autres membres de leur comité, et par une secrétaire - ceci pendant 7 mois. Raisonnablement, si nous voulons continuer, il faudra prévoir, l’an prochain, 3 personnes à temps complet.

JC : Vos espoirs de distribution se sont réalisés ?

U.G. : Oui, il y a eu des accords avec des distributeurs pour une grande partie des films - entre les 2/3 et la moitié. Ce n’était pas toujours facile : beaucoup de distributeurs auraient été prêts à conclure, mais à condition de passer aussitôt les films à la télévision.
Nous voulons qu’ils soient d’abord projetés. Dans le circuit non commercial, parce qu’un accord commercial sur ces films, en Allemagne, c’est actuellement exclu.
Pourtant, le cinéma Quadrat par exemple, qui doit les projeter, ici, à Mannheim, et deux fois dans la semaine, c’est déjà quelque chose d’intermédiaire entre le ciné-club et le cinéma d’essai - le "Gemeindekino", un cinéma sous-tutelle de la commune : une formule qui se cherche actuellement.

JC : Comment peut-on définir la formule du Forum, par rapport à d’autres expériences comme la Semaine de la critique ou Pesaro ?

U.G. : Nous avons très consciemment repris certaines formules de la Semaine ou de Pesaro, avec qui nous collaborons. Comme Pesaro, nous avons le souci d’aider les films à être édités et distribués et d’apporter sur eux une documentation solide.
La différence, c’est que nous ne nous limitons pas aux premiers et seconds films d’auteurs.

JC : Quel a été le public du forum ?

U.G. : Il avait déjà comme base le public du cinéma Arsenal à Berlin où fonctionne la Cinémathèque.
Et puis, plus ou moins par hasard, une partie du public du festival.
Mais aussi de dirigeants de ciné-clubs et de "Volkschochschulen" (2) venus d’un peu de tous les coins de l’Allemagne fédérale. C’est important puisque c’est pour eux que nous travaillons. Les discussions ont été sérieuses. Un peu de dogmatisme quelquefois, mais c’est inévitable.

Quant au nombre, le public était moins important qu’au festival, nécessairement, puisque le programme était beaucoup moins commercial. Cependant beaucoup de films ont rempli, dans leurs deux projections, les deux salles de 500 et 200 places.

JC : Quels ont été les plus grand succès ?

U.G. : Sans doute Les Mystères de l’organisme, les films sur le meurtre de Fred Hampton et sur Angela Davis, mais aussi le film sur les homosexuels qui a soulevé des discussions passionnées.

JC : Et l’avenir ?

U.G. : Je sais bien que ce parallélisme et cette séparation entre le festival et le Forum a le défaut d’assurer une tranquillité au festival. Pourtant le succès nous encourage à continuer.

Propos recueillis par Jean Delmas
Mannheim 1971
Jeune Cinéma n° 58, novembre 1971

1. 50 millions d’anciens francs.

2. Écoles supérieures d’éducation populaire

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