par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°176, octobre 1986
Sortie le mercredi 13 août 1986
Michel Deville est un cinéaste qui prend plaisir à nous surprendre à chacun de ses films. De toute évidence, il n’aime pas se répéter et une fois de plus, avec Le Paltoquet, il nous entraîne sur des voies nouvelles. L’étonnement naît dès le générique dans lequel Michel Piccoli joue avec les noms inscrits sur l’écran. Très rapidement, on se rend compte que Michel Deville aborde son sujet de façon très particulière et très personnelle.
L’intrigue tirée d’un roman, On a tué pendant l’escale, que lit le personnage joué par Michel Piccoli, sert de trame assez lâche à une mise en scène qui relève constamment du jeu. Qu’un crime ait été commis dans un hôtel borgne du port importe finalement peu, si ce n’est pour permettre la structure de l’enquête. Michel Deville ne s’embarrasse d’ailleurs pas du besoin de justifier vraiment la culpabilité du professeur. L’important est que les suspects sont réunis dans un bar qui sert de lieu et de décor quasi uniques à tout le film. Les rares échappées n’ont qu’une valeur dramatique élémentaire, à l’exception de l’ultime plan du film qui se présente comme une énigme.
Les personnages nous sont donnés tels quels ,dans l’espace du film, ils n’existent ni avant, ni après. Michel Deville a tenu le pari de ne leur donner aucune histoire, de ne pas les expliciter, ce qui contribue à accentuer le caractère opaque de l’enquête que mène l’inspecteur, ce qui fait aussi que les rapports qui les unissent restent toujours mystérieux à nos yeux. D’ailleurs, ils n’ont pas de nom, hormis Lotte, la femme du hamac. Ils se résument à leur profession ou, pour Michel Piccoli, au sobriquet dont on l’a affublé.
Plus d’un spectateur se posera alors la question de savoir ce qu’a voulu faire le cinéaste avec ce film qui ne ressemble à nul autre et qui bouscule avec un plaisir pervers les codes du cinéma tel qu’on le fabrique si souvent aujourd’hui. Pour beaucoup, Le Paltoquet n’apparaîtra que comme un exercice de style brillant mais creux.
Brillant, il l’est sans conteste. À l’intérieur de cette coquille que constitue le décor unique, ou presque, Michel Deville manipule tous les éléments avec une très grande habileté, on peut dire même une virtuosité démoniaque. Si l’on s’attache aux dialogues par exemple, ils recellent des merveilles dignes de Pierre Prévert, bien que jouant sur une autre tonalité.
Exercice creux ? Pas si sûr. Évidemment, Le Paltoquet n’a pas la prétention d’être un film métaphysique. Cependant, au-delà de la comédie, du film d’atmosphère qui ne constitue que la croûte superficielle, se cache quelquechose de plus profond et qui touche à ce que Michel Deville croit en matière de cinéma. Tout comme son personnage de paltoquet, il joue avec tous les éléments concrets qui constituent le film depuis le générique jusqu’à la musique, en passant par la lumière, les acteurs, les mouvements de caméra. En fait, il nous livre ici ses clés du cinéma, ou tout au moins les clés de son cinéma.
Il ne faut pas voir dans ce film une parenthèse fantaisiste dans l’œuvre de Michel Deville, mais au contraire une sorte d’élixir de ce qui constitue son style. Et, au-delà du jeu auquel il nous convie, il nous ouvre les sens et l’intelligence sur ce que peut être le cinéma : une création au sens premier du terme.
Bernard Nave
Jeune Cinéma n°176, octobre 1986
Le Paltoquet. Réal, sc : Michel Deville d’après On a tué pendant l’escale de Franz-Rudolph Falk (1945) ; ph : André Diot ; mont : Raymonde Guyot ; mu : Antonín Dvořák & Leoš Janáček ; déc : Thierry Leproust ; cost : Cécile Balme. Int : Michel Piccoli, Fanny Ardant, Daniel Auteuil, Richard Bohringer, Philippe Léotard, Jeanne Moreau, Claude Piéplu, Jean Yanne, Yves Belluardo (France, 1986, 92 mn).