par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°420-421, mars 2023
Sélection de la Quinzaine ds réalisateurs au Festival de Cannes 2022
Sortie le mercredi 15 mars 2023
Un varón (un homme, ou plus exactement un mâle) est le premier long métrage du Colombien Fabián Hernández, né en 1985 dans le quartier de Santa Fe, à l’est de Bogotá, où se situe l’action de son film. Entremêlant réalité et fiction sur fond de misère et de lutte entre gangs de trafiquants de drogue, il nous fait découvrir les lieux mal famés dont il est issu, où l’on joue très vite de l’arme blanche et de l’arme à feu.
Cette opera prima a deux dimensions : personnelle et sociologique. Fabián Hernández voulait "faire revivre son quartier" qui commence à être la proie de la spéculation immobilière. Ce retour sur les lieux est donc aussi une quête de son passé. D’autant qu’il a fait lui aussi partie des cascas, cette "racaille" se fourrant dans tous les mauvais coups. Il s’en est sorti à temps : presque tous ses amis de cette époque ont eu une fin tragique. Sa familiarité avec le quartier et les survivants explique qu’il y ait pu tourner sans aucun problème. Sans le besoin non plus d’une protection policière.
Avant de devenir cinéaste, Fabián Hernández a connu la culture de rue. Il a pratiqué le hip hop et a été lui-même breakdancer. Il a voulu élargir son horizon et a fait un séjour d’études en France où il a lu, notamment, Michel Foucault et Judith Butler. D’où plusieurs questions qu’aborde Un varón : qu’est-ce qu’une culture de la mort ? comment la masculinité se construit-elle ? comment devient-on "varón", autrement dit un individu capable de tuer et de risquer d’être tué, uniquement pour se faire respecter ?
En prégénérique, nous est livrée, en gros plan, l’interview de trois jeunes gens, deux blancs et un métis, aux cheveux ras, bien dégagé sur les oreilles. On ne sait s’ils sont des éducateurs débutants ou bien des délinquants. Ils sont convaincants dans leur propos, ne parlent ni de sexe, ni de modèle familial, mais seulement de la rue : "C’est elle qui nous façonne, elle qui nous force à être durs". Suit un match de foot dans la cour d’un foyer pour jeunes exclus et, en parallèle, des exercices de musculation avec des haltères. En salle a lieu un atelier de rap. L’atmosphère, empreinte de rudesse, est pleine d’énergie et de joie de vivre. On y célèbre le culte du corps, du corps masculin. Les représentations féminines sont effectivement fugitives dans le film. Les filles du foyer, rieuses, exubérantes, n’interviennent quasiment pas. Les adultes, que ce soient la coiffeuse, la sœur, une prostituée ou la directrice de l’établissement, sont autant de variations sur la figure maternelle.
Entre en scène Carlos, frêle, élégant, un dandy des banlieues. D’une photogénie pasolinienne. Il sort tout juste du salon de coiffure où il s’est fait faire faire "une coupe classe, une vraie coupe de mec". Il paraît timide, mais en impose par son allure et son impassibilité. Pourquoi se retrouve-t-il dans ce foyer ? La mère de cet adolescent vient d’être arrêtée, sans qu’on sache pourquoi. Sa sœur exerce, quant à elle, le plus vieux métier du monde.
Carlos tombe sur un parrain, Freddie, un adulte qui en fait un dealer au sein même du foyer. Renvoyé le soir de Noël pour avoir pris part à une bagarre, Carlos erre en ville au milieu des feux d’artifice et de Bengale. Il tombe sur la bande rivale de Freddie et se voit humilier par le chef de celle-ci qui le menace d’une arme à feu. Au petit matin, Carlos joint sa mère au téléphone avant de s’asseoir sur le trottoir. Et de pleurer.
Freddie le charge d’abattre son ennemi juré et lui procure un gros calibre à cet effet. Il en aura l’occasion. Mais le film s’achève à ce moment-là, sur cette hésitation, sur ce doute, sur ce double bind : peut-on devenir homme dans une société patriarcale sans père ?
Un varón n’aborde pas le thème du genre d’une façon universitaire mais à travers une émotion contenue, des images splendides signées Sofia Oggioni et la qualité de comédiens amateurs, à commencer par l’interprète principal Felipe Ramirez. La chanson du rappeur Gallego, Yo tengo un angel, donne au film une touche d’optimisme.
Un varón. Réal, sc : Fabian Hernandez ; ph : Sofia Oggoni ; mont : Esteban Muñõz ; mu : Fabien & Mike Kourtzer. Int : Felipe Ramirez Espitia, Jhonatan Steven Rodriguez (Colombie, 2022, 81 mn).