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Aftersun (2022)
de Charlotte Wells
publié le mercredi 1er février 2023

par Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection de la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2022

Sortie le mercredi 1er février 2023


 


La jeune cinéaste écossaise Charlotte Wells, signe avec Aftersun un premier long métrage réussi tant il explore un point de bascule existentiel avec une poignante élégance. Le spleen qui enveloppe tout le film est le produit d’une remémoration…
Dans les années 1990, un jeune père écossais, Calum, incarné par Paul Mescal, un acteur irlandais révélé dans la série Normal People (1) -, emmène sa fille de onze ans, Sophie (Frankie Corio) en vacances d’été dans une station balnéaire turque.


 


 


 

Entrelaçant images objectives et, çà et là, des séquences tournées par Sophie avec le caméscope familial (une caméra miniDV), le film capture et tente de restituer "ce temps partagé" entre les deux protagonistes au travers de leurs complicités et de leurs tensions. Ainsi les voyons-nous évoluer dans l’hôtel, en bord de bassin, autour d’un repas ou durant la sieste. Ces petites touches quasi impressionnistes constituent le fil de la narration. Ce séjour est l’occasion pour le père et sa fille de se forger des souvenirs comme le baptême de plongée sous-marine, quelques escapades touristiques, les tractations chez un marchand de tapis ou encore une danse nocturne.


 


 


 

Calum, qui est un père précoce se révèle taquin et également très attentif envers sa fille. En apparence, ces deux-là ressemblent à un grand frère avec sa petite sœur, ce que ne manquent pas de leur faire remarquer certains vacanciers. Alors que le séjour s’achemine vers son terme, Calum qui a tenté de cacher comme il le pouvait à sa fille les signes d’une profonde dépression, montre peu à peu des failles, ne parvient plus à dissimuler les troubles qui l’assaillent. Sophie quant à elle se rapproche d’un groupe de jeunes Anglais et expérimente son premier baiser avec un jeune garçon de son âge.


 


 


 

Toute la construction du récit repose sur un rapport de sensibilité. Le dispositif émaillé de scènes en apparence anodines et qui délicatement, au travers de gestes, de regards, de fragmentations des corps (des mains qui se touchent, un badigeonnage de crème solaire sur des épaules frêles, des nuques qui transpirent), en traquant des reflets (dans des vitres, écrans, miroirs), laissent percevoir ce qui ne peut se dire. Et même si la fillette dans sa candeur solaire ose verbaliser et poser des questions à ce père au regard plein de tristesse, l’essentiel restera traversé de silences sourds et au mieux murmuré, bourdonnant comme une souffrance qui ne peut qu’être effleurée.


 


 

Cette fillette en pleine quête de la vie dans son passage vers l’âge adulte et son jeune père déjà dévasté, reliés intimement, vivent là un moment particulier où souffle déjà l’ombre confuse de la séparation. Ce ressenti "mélancolique" atteint une sorte d’apothéose dans la superbe scène de danse finale, où les notes de la chanson "Under Pressure" (2) envahissent le l‘écran. Ce sentiment diffus de perte et/ou d’absence se trouve renforcé par l’insertion de brèves scènes stroboscopiques, où Sophie adulte, vingt années plus tard, apparaît en flashforwards, regardant ces vidéos de vacances, chérissant ses réminiscences estivales, ou encore apparaît dans une boîte de nuit où elle semble confusément voir son père danser comme un fou sur la piste.


 


 

C’est par cette métaphore visuelle que la réalisatrice inscrit sur la pellicule la cristallisation du souvenir, l’image immuable surgie à côté de celles d’un temps révolu que le film nous a fait vivre au présent. Toute la beauté de Aftersun réside dans la manière de saisir ce point de fugacité, celui où des images du passé sont soudain traversées par les éclairs annonciateurs d’un bonheur perdu. L’émotion affleure à chaque moment. Dès lors, ce besoin impérieux qu’a Sophie de chercher des réponses derrière les images d’une parenthèse estivale arrachée aux réminiscences, et celui de vouloir reconstituer un puzzle dont des pièces demeurent manquantes, résonnent comme la mise en abîme du cinéma même. Car il est vital de ne pas se résoudre à accepter l’inéluctable.


 

La force et la grâce du retour en images et en possibilité de ce qui a été, agit comme la mémoire. La mémoire est l’organe de modélisation du réel qui peut transformer le réel en possible et le possible en réel. C’est la définition même du cinéma. Charlotte Wells apporte avec sensibilité et finesse sa propre réponse en terme de "déjà-vu" dans une double acception : percevoir quelque chose de présent comme si cela avait déjà été, et percevoir comme présent quelque chose qui a été. La reprise d’images, combinées les unes aux autres, et reproduite au sein du film dans des temporalités différentes, donne une nouvelle "visibilité" à partir de ce qui a été "déjà-vu", ne fut-ce qu’imparfaitement… C’est donc les yeux embués que le spectateur quitte la salle.

Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

1. La série Normal People de Lenny Abrahamson & Hettie Macdonald est passée sur la BBC en avril 2020. Elle est adaptée du roman éponyme de Sally Rooney, paru en 2018.

2. Caring about ourselves
This is our last dance
This is ourselves

(Under Pressure, David Bowie and Queen oct.1981).


Aftersun. Réal, sc : Charlotte Wells ; ph : Gregory Oke ; mont : Blair McClendon ; mu : Oliver Coates
Int : Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall, Sally Messham, Brooklyn Toulson, Spike Fearn, Harry Perdios, Ruby Thompson, Ethan James Smith, Onur Eksioglu, Kayleigh Coleman, Kieran Burton (USA-Grande-Bretagne, 2022, 102 mn).



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