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Fields, W.C. (livre)
Fields président !
publié le samedi 18 mars 2023

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°377, décembre 2016

W.C. Fields, Fields président !, Paris, Wombat, 2016.


 


L’idée est excellente de vouloir ramener W.C. Fields à la surface, une surface dont il tend à disparaître : il y a fort longtemps que nous n’avons pas vu ses films distribués en salles (à vue de souvenirs, une bonne trentaine d’années) et les cinq DVD édités par Bac Vidéo sont loin désormais (1). Seule nouvelle trace de William Claude Dukenfield découverte récemment : la version de Tales of Manhattan (Six destins) de Julien Duvivier (1942), longtemps amputée du sketch avec W.C. Fields, est passée à la télévision sur le câble en septembre 2016 dans son intégralité. Si peu que rien.
Thierry Beauchamp, traducteur et postfacier, note cette disparition progressive, en la regrettant avec raison. Sa présentation de la carrière et des caractéristiques fieldiennes est d’ailleurs impeccable, avec juste un bémol : Mack Sennett n’a pas dirigé les cinq courts tournés par WCF en 1932-1933, il les a seulement produits, et les réalisateurs en étaient Arthur Pierce, Arthur Ripley, Monte Brice et Clyde Bruckman.

Ce que le traducteur oublie de rappeler, c’est que Fields for President ! avait déjà été publié ici, en 1973, par les éditions Champ Libre, dans une traduction de Claude Portail, et sous le titre également incitatif de Votez pour moi ! L’ouvrage est certainement épuisé ou pilonné, Champ Libre ayant disparu depuis belle lurette. Mais Thierry Beauchamp, même s’il n’y a pas eu accès, aurait tout de même pu signaler cette version.
Du coup, le petit jeu consiste à comparer les deux traductions, qui s’avèrent assez différentes dans la forme, puisque le premier chapitre 1973, "Permettez-moi de me présenter !" devient, en 2016, "Examinons le dossier !", et que "la fabrique de bretzels" évoquée dans les premières lignes se transforme en "fabrique de beignets", ce qui n’est pas tout à fait la même chose pour les amateurs.

Faute de pouvoir recourir au texte original de 1940, on ne peut juger qui l’a le plus précisément respecté, et jouer les pointilleux est inutile, l’essentiel étant d’avoir de nouveau accès à ce morceau fondamental de l’œuvre - il s’agit du seul livre écrit par W.C. Fields sur ce sujet important. Notons cependant que traduire Never Give a Sucker an Even Break, titre de son dernier grand film - littéralement "Ne donne jamais à un pigeon une chance de s’en sortir" -, par Pas de pitié pour les pigeons est une jolie trouvaille polysémique.

Mais on (re)découvrira avec plaisir son programme électoral à travers ses huit points principaux. Eu égard à ce que l’on sait de W.C. Fields, à son souci de l’économie, à son éthylisme et à sa phobie des enfants - souvenons-nous de ses rapports avec Baby Le Roy (2) -, on appréciera particulièrement "Comment vaincre l’impôt sur le revenu", "Comment je me suis bâti un physique de rêve" et "Le soin des bébés" ("Avant 3 ans, le bambin devra être couché à minuit, même si la fête ne fait que commencer.") Enfin une rupture radicale et des réformes d’avenir.

Quant au fond, le livre n’est fait que de digressions nonsensiques, de coq-à-l’âne incessants, d’anecdotes délirantes, tout à fait dans la lignée de ses scénarios signés Otis Criblecoblis ou Mahatma Kane Jeeves (clin d’œil à P.G. Wodehouse ?), ou de ses monologues à l’écran.
En cette période de langue de bois, d’argumentaires infundibuliformes et de vacuités logorrhéiques, une telle bouffée d’air du large ne peut qu’être bénéfique.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°377, décembre 2016

P.S. Notons que le catalogue de cette collection "Les Insensés", que nous ne connaissions pas, contient, parmi d’autres, Robert Benchley, Stephen Leacock, Spike Milligan, Roger Price et Topor, c’est-à-dire le fin du fin des pince-sans-rire de l’Absurdie.

1. Cf. Jeune Cinéma n°322-23, printemps 2009.

2. Baby LeRoy (1932-2001), enfant acteur américain, a tourné dans une dizaine de films, de 1933 à 1935, dont trois avec W.C. Fields.


W.C. Fields, Fields président ! (Fields for President !), traduction et postface de Thierry Beauchamp, illustrations de Otto Soglow, Paris, Wombat, coll. "Les Insensés" n° 28, 2016, 128 p.



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