Inspiré de plusieurs nouvelles du célébrissime auteur japonais, Haruki Murakami, lu dans le monde entier, et toutes issues du volume qui donne son titre au film (1), le premier long métrage d’animation du peintre, compositeur et réalisateur Pierre Földes est un petit chef-d’œuvre à voir d’urgence.

Son film, qu’on pourrait dire appartenir au courant du réalisme magique, se donne comme une adaptation onirique du monde du célèbre écrivain, déjà fort étrange et surréaliste et cependant ancré dans la réalité universelle, d’où le succès de ses titres, notamment Les Amants du Spoutnik (1999), Kafka sur le rivage (2002), les trois tomes de 1Q84 (2009). Le fait qu’il ait donné son accord au réalisateur pour adapter dans un film, pour la première fois, une partie de son œuvre est déjà un grand succès car Haruki Murakami ne cesse de se méfier du média cinéma, sauf peut-être pour Drive my Car qui a su lui aussi retrouver la petite musique murakamienne (2).

Pierre Földes a dû jouer avec l’imaginaire de l’auteur japonais sans l’affadir ni l’interpréter, et il a choisi de le traduire à l’écran, sans le trahir non plus, en concevant son film surtout comme une partition, sachant qu’il est à l’origine musicien. Pour ce faire, il s’est souvenu de l’influence de son père Peter Foldes, pionnier du cinéma d’animation numérique, césarisé en 1978 pour son court-métrage d’animation, Rêve (3).
Dans ce film, qui a obtenu la Mention du jury au Festival international du film d’animation d’Annecy et le Prix de la meilleure musique originale au festival de cinéma des Arcs en 2022, on retrouve bien les thèmes chers à Haruki Murakami.

Tout particulièrement dans la manière dont Pierre Földes a développé les personnages dans des décors pastels, un ensemble de décors réalistes et une ambiance souvent étrange et feutrée par l’utilisation de la disparition, ou de la couleur blanche, comme pour accentuer l’évanescence du monde et de la vie à travers le tremblement de terre, suivi d’un terrible tsunami dévastateur au Japon en 2011.
Des personnages bizarres, dont une grenouilles géante, un comptable effacé, une femme obnubilée par la télé, son mari évaporé et une boîte mystérieuse à livrer à une jeune femme non moins mystérieuse.

"À la lecture de chacune des nouvelles que Pierre Földes a adaptées, il est impressionnant de lire dans ce travail, la liberté qu’il s’est octroyée pour lier les histoires entre elles en respectant l’essence des nouvelles originales, afin d’aboutir à une histoire inédite, peut-on lire dans la note de production. Il fait preuve de créativité et de modestie, optimisant le contenu des nouvelles pour développer les personnages et situations initiales à l’intérieur d’une nouvelle narration, d’une nouvelle construction dramatique".

Conçu autour d’un ensemble de panneaux entre aquarelle croquis, et une bande son moult fois louée, le film permet à chacun des spectateurs d’imaginer le Japon, de voyager et de se rêver une autre vie à la manière de ces personnages confrontés de force au malheur du séisme pour se réinventer une existence ou une présence au monde qui leur convienne mieux. Outre la musique inspirante et planante, le film permet aussi de retrouver l’ensemble des voix qui constitue comme une symphonie de mélopées qui s’entrecroisent, parmi lesquelles on pourra s’amuser à reconnaître un certain nombre.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Haruki Murakami, Saules aveugles, femme endormie, traduction de Hélène Morita, Paris, Belfond, 2008.
Les 23 nouvelles qui constituent le recueil ont été écrites entre 1980 et 2005

2. Drive My Car (Doraibu mai kā), de Ryūsuke Hamaguchi (2021).
Le film a obtenu le Prix du scénario du Festival de Cannes 2021, puis l’Oscar du meilleur film international en mars 2022.

3. Peter Foldes (1924-1977) a réalisé une quinzaine de films entre 1952 et 1977, dont une majorité de courts métrages. Rêve a reçu le César du meilleur court-métrage d’animation en 1978.

Saules aveugles, femme endormie. Réal, sc, mu : Pierre Földes, d’après l’œuvre de Haruki Murakami ; ph : Étienne Boilard ; mont : Kara Blake. Avec les voix de Amaury de Crayencour, Mathilde Auneveux, Féodor Atkine, Arnaud Maillard, Bruno Paviot, Pierre Földes, Théophile Baquet, Julien Crampon, Damien Zanoly, Laurent Stocker, Jean-Pierre Malignon, Jean-Pierre Kalfon, Isabelle Vitari, Géraldine Schitter, Ingrid Donnadieu, Marie-Christine Barrault, Noée Abita, Arthur Holden, Katharine King So (France, 2022, 100 mn). Animation.