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Burton, Richard (livre)
Journal intime (2020)
publié le vendredi 24 mars 2023

Par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma n°404-405, hiver 2020

Richard Burton, Journal intime, Paris, Séguier, 2020.


 


Richard Jenkins (1925-1984), plus connu sous son nom d’artiste, Richard Burton - un patronyme qu’il avait emprunté à son prof d’anglais et père de substitution, Philip Burton, lequel le fit débuter au théâtre dès sa scolarité –, tint son journal par intermittence dès l’âge de 14 ans, jusqu’à la fin de sa vie.
Ce texte, publié en anglais en 2012, vient de l’être en français chez Séguier. Bien qu’il fasse près de 500 pages, il ne couvre que les sixties, à partir de son mariage avec Liz Taylor, le couple s’étant formé à Cinecittà, lors du tournage de Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz (1963).

Richard Burton ne cache pas son penchant pour l’alcool, mais n’insiste pas sur les crises à répétition du couple, ses psychodrames et ses rabibochages. Il soigne l’image d’une épouse désirable, que tout le monde lui jalouse. Dans ses annotations, le comédien démontre son don pour le portrait réaliste, son goût pour la littérature en général et pour la poésie en particulier, son sens de l’humour. Il lui arrive de s’en prendre aux producteurs, qu’il qualifie d’incultes, et à certains cinéastes, selon lui mal embouchés. Plus rarement aux acteurs, qu’il moque gentiment, sachant bien qu’il leur ressemble. Il est clairvoyant quant à sa gloire et à sa réussite matérielle, n’oubliant pas son extraction... minière au sein d’une fratrie galloise de treize enfants.

Il estime avec franchise et non sans fierté les revenus de la P.M.E. Taylor-Burton : "J’ai établi qu’avec une chance raisonnable, nous serions à la fin de 1969 riches de douze millions de dollars à nous deux. Environ trois millions en ce moment en diamants, émeraudes, biens immobiliers, tableaux (Van Gogh, Picasso, Monet, Utrillo, etc.). Notre revenu annuel tournera donc autour d’un million de dollars. S’il plaît à Dieu, et sans guerre ni krach de 1929 !" Ils touchent chacun à la fin des années 60 plus d’un million de dollars par film, sans parler des pourcentages. Ayant voyagé dans l’avion privé de Frank Sinatra, Richard achète à Elizabeth un jet, pour la modique somme de 960 000 dollars (frais de pilotage non compris) et justifie cet achat comme suit : "Nous n’aurons plus jamais à utiliser cet horrible aéroport de Londres. Hourra !".

Richard Burton a des rapports distants avec les producteurs de ses films : "Quand je travaille pour un gros studio, je n’ai absolument pas mauvaise conscience, je me sens simplement frustré de ne pas pouvoir finir le satané film le plus vite possible. L’idée que le mauvais temps ou un coup de malchance fasse pleurer un Zanuck, un Warner ou un Wasserman dans son whisky me fait infiniment plaisir". Il faut préciser qu’il ne les porte pas vraiment dans son cœur ou ne les estime pas particulièrement : "Difficile de décrire Darryl Zanuck, Lew Schreiber, L. B. Mayer, Jack Warner, et tous leurs petits satellites, comme possédant des cerveaux imposants".

En ce qui concerne les cinéastes, il prétend que ni lui ni Elizabeth Taylor n’ont dû recevoir "plus d’une douzaine d’indications de mise en scène, tous réalisateurs confondus. [...] Le dernier qui m’a dirigé de façon intéressante, faisable et parfois passionnément brillante était Mike Nichols dans les séquences comiques de Woolf" [ Who’s Afraid of Virginia Woolf ? (1966)]
Quant aux soi-disant "grands réalisateurs" comme Martin Ritt ( The Spy Who Came in from the Cold, 1965), Joseph Mankiewicz ( Cleopatra, 1963), Tony Richardson ( Look Back in Anger, 1959), il ne se souvient de rien de ce qu’ils ont dit, sauf d’idioties qu’il n’a pas prises en compte.
Par ailleurs, selon lui, Liz Taylor considérait Peter Glenville, le réalisateur de Becket (1964) comme "une véritable langue de pute", dont elle n’avait "jamais entendu dire un mot gentil sur quelqu’un".
De Henry Hathaway, avec lequel il tourne Raid on Rommel (1971), le comédien consigne qu’il a "la réputation d’être un connard de la pire espèce une fois que le coup d’envoi est donné. Hier, il a voulu que nous fassions un défilé en costumes et c’était aussi réaliste qu’une véritable inspection par un véritable commandant dans une véritable guerre. Les pauvres acteurs étaient complètement terrorisés. [...] Hathaway a dit hier à un parfait étranger assis dans le bar : "Va te faire couper les cheveux, putain, et rase-moi ces putains de pattes. Combien de putain de fois il va falloir que je te le répète ?. C’était un innocent touriste stupéfait".

Il n’en est pas de même des acteurs. Il admire par exemple un Rex Harrison, dont il repère pourtant la moumoute qu’il porte aux premières et dont il souligne le maquillage au Man Tan, un fond de teint censé donné l’impression du bronzage : "Imaginez ça ! Je crois que je vais essayer moi aussi". Richard Burton reconnaît l’élégance de son aîné : "Il a essayé [mon manteau en vison] et j’ai eu quelques difficultés à le lui faire ôter. Il lui va superbement bien, évidemment. Il porte les vêtements comme seul un portemanteau peut le faire". Selon lui, Warren Beatty, dont tout le monde s’entiche "ne transmet pas ce sentiment d’énergie vibrante comme Rex, ni de dynamisme léthargique comme Marlon".
Nommé plusieurs fois aux Oscars, il note avec lucidité : "Ma seule chance, c’est que je suis lié à l’équipe Kennedy-Adlai Stevenson et que je suis une "colombe" alors que John Wayne est un faucon républicain, membre de la John Birch Society". C’est pourtant John Wayne qui remportera la statuette.

Quand il est amené à travailler avec Romy Schneider à deux reprises, notamment avec elle et Alain Delon pour le film de Joseph Losey, The Assassination of Trotsky (1972), on le met en garde contre la comédienne allemande, séduisante donc dangereuse pour son couple. Il rapproche la vedette française de Frank Sinatra, George Raft et Stanley Baker, qui fréquentaient volontiers la pègre, se souvient de lui dans Rocco et ses frères, film dans lequel Luchino Visconti et la caméra "traînaient amoureusement, presque lascivement, sur ses exquis petits os, un très gros plan après l’autre".

Richard Burton et Liz Taylor fréquentent célébrités, sommités, grands de ce monde chez Marie-Hélène & Guy de Rothschild : "Nous sommes passés chercher Grace [Kelly] au 32 avenue Foch. [...] Dans les derniers kilomètres avant d’arriver à Ferrières, nous avons vu des policiers, la plupart en moto, à chaque centaine de mètres [...]. Le président Pompidou était employé par Guy de Rothschild avant et après qu’il soit devenu Premier ministre". Lors d’un de ces dîners, son attention est attirée par l’homme assis en face de lui, qui, rappelle-t-il, "ressemblait à un cadavre quand il ne bougeait pas et à un essai raté de chirurgie esthétique quand il bougeait, ce qui arrivait assez rarement". Ce "monsieur tout droit sorti d’un film d’horreur" n’est autre que Andy Warhol qui immortalisa à sa manière, dans ses sérigraphies, l’étoile déclinante délaissée par la Fox, Marilyn, et la star à son zénith, Elizabeth.

Nicolas Villodre
Jeune Cinéma n°404-405, hiver 2020


Richard Burton, Journal intime, traduction de Alexis Vincent & Mirabelle Ordinaire, Paris, Séguier, 2020, 592 p.


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