Sophie Letourneur avait surpris, en 2012, avec Les Coquillettes et cet humour un peu décalé en a fait sa marque de fabrique. Après Énorme (prix Jean Vigo 2020), un peu trop énorme pour faire sourire, elle revient au cinéma en nous proposant un désopilant Voyages en Italie, dans lequel elle incarne son propre rôle auprès de Philippe Katerine, égal à lui-même. À la fois autobiographie et distant, ce film est aussi très référentiel - Roberto Rossellini, ne serait-ce que pour les citations stromboliennes, mais aussi Sophie Calle avec No Sex Last Night (1996) et même Nanni Moretti avec Caro diario (1993).

La Sicile a fort inspiré Sophie Letourneur. Elle nous offre un voyage style Bidochon, mais des Bidochon qui auraient vu pas mal de films italiens et de la Nouvelle Vague. La cinéaste a parcouru l’Italie en 2016, aux mêmes endroits que dans le film et avec les mêmes enjeux, en notant ses impressions sur des pages blanches arrachées au Guide du routard…
Le récit qu’elle en fait donne une comédie burlesque, sur le modèle de son couple, qui lui semblait parfois, comme elle le déclare, être une caricature.

On rit beaucoup devant tant d’autodérision et, in fine, on sort étonné par ce mélange de réalisme (dans le filmage des corps et des visages), de magnificence (les paysages, même traversés parfois au pas de course) et d’images insolites - Sophie Letourneur, toute petite devant l’énorme buste en bronze d’un homme renversé, comme une dénonciation du tourisme de masse qui s’est emparé du patrimoine culturel et dont son petit couple représente un bon exemple.

Ce road-movie foutraque prend évidemment le contrepied du film de Robert Rossellini, Voyage en Italie (1954) et de Vacances romaines de William Wyler, qui a tant fait rêver depuis 1953.
Il nous montre deux personnages en goguette sur une Vespa louée, petit couple de bobos parisiens ayant laissé leur enfant à la grand-mère pour s’évader et retrouver l’Italie de leurs rêves et de leurs souvenirs, notamment ceux du mari qui emmenait jadis ses nombreuses conquêtes à la découverte de la bella Italia.

Le choix de Philippe Katerine, est magistral, car il complète parfaitement le tableau et apporte au film une touche à la fois poétique et grotesque, inoubliable. Sophie Letourneur s’en explique : "J’ai toujours senti quelque chose de proche de moi dans son rapport au sérieux, à la trivialité et à la poésie. C’est un grand artiste. Ce qui va m’inspirer chez un acteur, c’est toujours au fond la personne. Le personnage était, à l’origine, mon compagnon. Et Philippe, c’est à fois lui, et pas du tout lui. Il a apporté quelque chose en plus, il en a fait un personnage autre".

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°420-421, mars 2023

Voyages en Italie. Réal, sc, mont : Sophie Letourneur ; sc, mont : Laetitia Goffi ; ph : Jonathan Ricquebourg ; mont : Thomas Glasser. Int : Sophie Letourneur, Philippe Katerine (France, 2023, 91 mn).