Écrire un film. Le sujet est vaste et il fallait bien pour le traiter les quelques centaines de pages de cet ouvrage, coordonné par N.T. Binh & Frédéric Sojcher, et composé d’entretiens avec seize réalisateurs contemporains : Jean-Pierre Bacri, Bertrand Blier, Valeria Bruni Tedeschi, Robin Campillo, Laurent Cantet, Emmanuel Carrère, Jean-Claude Carrière Olivier Dazat, Claire Denis, Pascale Ferran, Jacques Fieschi, Fabrice Gobert, Agnès Jaoui, Noémie Lvovsky, François Ozon, et Danièle Thompson, issus pour certains de la critique, de la littérature ou réalisateurs à part entière.

Un sujet que la Nouvelle Vague et François Truffaut en particulier, avaient décrié, comme le rappelle Frédéric Sojcher dans la préface, en prônant la politique des auteurs et rappelant l’importance de la mise en scène (choix des acteurs, musique, plans, lumière, cadre, décors, costumes, montage...) dans le processus de fabrication du film.

Partagés par la question, les réalisateurs interrogés réagissent. Certains considèrent que l’écriture est une véritable épreuve, tel Laurent Cantet pour qui elle est "une des étapes qui l’angoisse le plus". Robin Campillo va plus loin disant que "le tournage brûle le scénario, et qu’au montage il est un point d’amnésie." On aimerait alors suivre l’humour de Bertrand Blier, "Il y a bien eu un scénario mais je l’ai écrit après le tournage", ou Paulo Branco affirmant "Je produis des films sans lire les scénarios", ou encore se souvenir des propos de Emmanuel Carrère, heureux d’avoir eu la chance de tomber dans les commissions du CNC sur des personnalités ouvertes à des projets sans scénarios.

Maudit scénario, qui parfois et bien souvent, en plus d’exiger un relatif talent littéraire, implique des financements imprévus comme l’indique Pascale Ferran : "Quand on écrit, on essaie de rêver un peu quelque chose, puis après on rentre dans les contraintes, dans des questions plus ou moins cinématographiques, c’est-à-dire terriblement liées à l’argent". En même temps le scénario s’avère pour certains l’assurance de travailler le rythme des scènes. Jacques Fieschi évoque ainsi "une scène de Claude Sautet, à l’écriture, doit créer un mouvement de cinéma… Toute la respiration et la métrique des scènes sont déjà dans le scénario". Nicole Garcia pense qu’écrire "c’est une expérience émotive avant tout".Noémie Lvovsky décèle par intuition : "Je sais juste qu’il y a un film, parce qu’il y a quelqu’un derrière".
Certains y trouvent un intérêt indéniable, une possibilité de fabriquer différentes pistes de perceptions scéniques, de creuser tel ou tel crescendo émotionnel, et, par exemple, penser avec François Ozon que "le scénario doit changer constamment : c’est une matière molle".

Condensé de réflexions sur l’écriture de film, sans affirmation ni certitude aucune, cet ouvrage brosse les manières de faire de chacun, hasardeuses, méthodiques ou expérimentales. Des attitudes qui ouvrent le champ à la liberté de se souvenir du meilleur vécu lors des tournages, tels ceux de Jean-Claude Carrière avec Luis Buñuel, Milos Forman et Jean-Luc Godard, ou ceux plus intimes de Claire Denis ou Pascale Ferran. Et pourquoi pas, la possibilité ultime, d’oublier totalement le scénario, un peu à la manière de Valeria Bruni Tedeschi, qui "commence par plein de bouts de dialogues".
"Ressentir le film dans le scénario" termine Danièle Thompson, c’est la leçon de cet ouvrage : dans le cinéma d’aujourd’hui, un bon scénario, puisque scénario il y a, doit contenir sa part d’images, images visuelles, mais aussi images mentales, capables de transporter le lecteur, puis le spectateur.
Un ouvrage à lire dans le désordre et, selon ses affinités cinématographiques, à écouter la parole des réalisateurs déborder du vaste sujet de l’écriture filmique pour s’en aller dans les contrées mystérieuses de la vie du cinéma dans ce qu’elle a de merveilleux.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°392-393, février 2019

N.T.Binh & Frédéric Sojcher, éds., Écrire un film. Scénaristes et cinéastes au travail, préface de Frédéric Sojcher, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2018, 392 p.