par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 12 avril 2023
La cinédanse de Florian Heinzen-Ziob, Dancing Pina, traite sous la forme du documentaire de deux ballets emblématiques de Pina Bausch, Frühlingsopfer / Le Sacre du printemps (1975) et Iphigenie auf Tauris / Iphigénie en Tauride (1974). Ces deux pièces illustrent les débuts du Tanztheater de Wuppertal et la naissance d’un style chorégraphique singulier, se détachant de la danse d’expression allemande transmise par Kurt Jooss, et de l’empreinte surréaliste dont garde trace la vidéo noir et blanc de Fritz (1968) tournée en 1974 par Dirk Reith & Rolf Borzik, que nous avons visionnée en 2014 à Wuppertal.
Florian Heinzen-Ziob ne s’en est pas tenu à la captation de ces deux pièces bauschiennes considérées comme majeures par la critique de danse. Il n’a pas non plus respecté les codes du genre documentaire en juxtaposant séquences dansées et entretiens, comme l’avait fait une Chantal Akerman dans Un jour Pina a demandé (1983). Il a osé le montage parallèle entre les deux œuvres, reprises, l’une par une troupe de danseurs d’Afrique noire réunis à l’École des sables de Germaine Acogny, au Sénégal, l’autre par le corps de Ballet du Semperoper de Dresde.
Malgré le côté systématique et une ou deux redites, le film est épatant. Non seulement le chef opérateur Enno Endlicher est parvenu à restituer avec brio les répétitions du Sacre, en bord de mer, tout près de Dakar, par une troupe hyper-dynamique créée de toutes pièces avec une trentaine de jeunes interprètes issus de quatorze pays différents, mais il a rendu l’atmosphère sépulcrale des solos, des duos et des trios dans Iphigénie, éclairés a minima par la lumière artificielle.
En outre, un peu comme dans le Pina de Wim Wenders (2011), le film recueille quelques témoignages de danseuses évoquant leurs difficultés à exercer leur métier. Comme dans les documentaires de Dominique Delouche, c’est la question de la transmission qui est le vrai sujet du film. Raison pour laquelle la fondation Pina-Bausch, dirigée par Salomon, le fils de la chorégraphe, a soutenu le projet.
La danse étant matière volatile, insaisissable, provisoire, le film la conserve sans doute mieux que tout autre système de notation - on pense à ceux de Laban et de Pierre Conté auquel Jean Painlevé consacra son merveilleux court métrage L’Écriture de la danse (1947). Mais, ainsi que nous l’avaient montré Anne Linsel et Rainer Hoffmann avec Tanzträume / Les Rêves dansants (2009), rien ne remplace la preuve par l’exemple. En l’occurrence, ici, par les ex-danseurs de Pina Bausch : Malou Airaudo, Dominique Mercy, Jorge Puerta Armenta, Clémentine Deluy, et Jo Ann Endicott qui avait déjà été remarquable dans Tanzträume.
Last but not least, Dancing Pina met nous fait découvrir une subtile interprète, la Coréenne Sangeun Lee, première danseuse au Ballet de l’Opéra de Dresde qui tient le rôle-titre dans Iphigenie auf Tauris, dont la performance scénique et la photogénie écranique sont ici éclatantes.
Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe
Dancing Pina. Réal, sc, mont : Florian Heinzen-Ziob ; ph : Enno Endlicher ; mu : Igor Stravinsky, Christoph Willibald Gluck ; chorégraphie Pina Bausch. Avec Malou Airaudo, Clémentine Deluy, Josephine Ann Endicott, Jorge Puerta Armenta, Dominique Mercy, Sangeun Lee, Courtney Richardson, Julian Amir Lacey, Francesco Pio Ricci, Gloria Ugwarelojo Biachi, Luciene Cabral, Franne Christie Dossou, Tom Jules Samie (Allemagne, 2022, 112 mn). Documentaire.