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Désordres (2022)
de Cyril Schäublin
publié le mercredi 12 avril 2023

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection Encounters de la Berlinale 2022.
Prix du meilleur réalisateur à Cyril Schäublin

Sortie le mercredi 12 avril 2023


 


Dans une usine de fabrication de montre d’un canton suisse en 1877, l’anarchisme se développe parmi les ouvriers. Au travers de l’observation de ce développement, dans son premier long métrage, Cyril Schäublin dresse le portrait d’une société suisse qui va entrer dans l’âge de la mondialisation industrielle, où l’on parle allemand, français, anglais comme le russe. Une société polie, quelle que soit la classe sociale, mais où l’on discute d’anarchie et de révolution.


 


 

C’est en partie du contraste se jouant entre des personnages flegmatiques et la virulence de leurs propos, entre la violence de certaines situations et l’acceptation passive de sentences injustes, que naît le sentiment d’oppression de Désordres. Il est accentuée par les cadres constitués exclusivement de plans fixes, nimbés de lumières douces, qui sont employés pour décrire un monde rigide où chacun demeure dans le rôle qui est le sien. Ces cadrages serrés permettent une efficace reconstitution d’époque sans jamais donner la sensation d’un manque de moyens.


 


 

Ce sentiment d’asservissement venu de l’œuvre émane du type de plans employé, évidemment quand ils sont serrés sur les montres en train d’être fabriquées, mais aussi lorsqu’ils sont larges. Car dans cette dernière configuration, les personnages sont uniformément petits, dépersonnalisés, réduits à l’état de rouages participant à une mécanique bien huilée, celle de la société industrielle se déshumanisant à mesure qu’elle naît, et dont l’obsession aliénante du temps et de sa mesure est pré-totalitaire. Un aspect transparaît aussi par l’usage répété des nouvelles technologies que sont alors la photographie et le télégraphe.


 


 


 

Le travail de la bande sonore contribue également à ce poids, où l’absence de musiques extradiégétiques permet aux multiples sons des horloges, comme des instruments des employés, d’être entendues et d’évoquer le tic-tac d’une bombe.
Mais l’intelligence du réalisateur consiste à ne pas vraiment prendre parti pour les ouvriers ou la bourgeoisie. Cette neutralité émane notamment du fait que les uns comme les autres se montrent injustes ou violents et affichent, notamment, une même forme d’aptitude pour piper leur élection respective. Les bourgeois accordent le vote à qui peut payer l’impôt, mais, chez les prolétaires, le vote à main levée garantit une pression pour qui n’est pas en accord avec la masse.


 


 

Désordres montre toutefois comment un grain de sable permet de faire dérailler cet univers. Ce grain de sable, c’est l’émotion inhérente à la nature humaine. Ce dernier aspect se traduit symboliquement par la romance entre un cartographe russe anarchiste (qui se trouve être Piotr Kropotkine) et une ouvrière qui, par leur amour naissant, amènent subtilement un désordre révolutionnaire dans une société semblant réglée comme une horloge.


 


 


 

Pourvu d’un dispositif hypnotique, Désordres évoque aussi bien Jeanne Dielman (1), que certains films de Alexandre Sokourov, et il n’est pas loin du film parfait. Il déborde de qualités et doit être vu par qui se passionne d’Histoire, d’histoires et de cinéma.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe

* Ne pas confondre avec Désordre de Olivier Assayas (1986).

1. Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman (1975).


Désordres (Unrueh). Réal, sc : Cyril Schäublin ; ph : Silvan Hillmann ; mont : C.S. & Linda Harper ; mu : Li Tavor ; déc : Jimena Cugat ; cost : Linda Harper. Int : Clara Gostynski, Alexei Evstratov, Valentin Merz, Nikolai Bosshardt, Li Tavor, Monika Stalder, Helio Thiémard (Suisse, 2022, 93 mn).



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